ZOLA, Emile (1840-1902)

Lettre autographe signée « E » à Georges Charpentier
[Queen’s Hotel, Norwood, Londres] le Dimanche 30 oct.[obre] 1898, 4 pages in-8 à l’encre noire

« La victoire est prochaine »

VENDU
Ajouter à la sélection
Fiche descriptive

ZOLA, Emile (1840-1902)

Lettre autographe signée « E » à Georges Charpentier
[Grosvenor Hotel, Londres] le Dimanche 30 oct.[obre] 1898
4 pages in-8 à l’encre noire, sur bi-feuillet vergé

Lettre historique dans laquelle Zola se réjouit de l’annonce de la révision du procès Dreyfus


« Mon vieil ami, merci des quelques commissions que vous avez bien voulu faire pour moi, et merci de votre nouvelle lettre.
Je vous écris dans la joie que je viens d’éprouver en apprenant que la cour de cassation a décidé de faire l’enquête totale. Quoi qu’il arrive, c’est toute la lumière, et nous ne pouvons qu’y gagner. Enfin, la victoire est prochaine. Mais me voici certainement ici pour deux grands mois encore. Je vais m’organiser pour y rester jusqu’en janvier, le moins mal possible. Je me suis d’ailleurs remis au travail, tout va bien. L’important, c’est que le triomphe soit dès maintenant assuré.
Je vous avoue que la composition du prochain ministère ne m’inquiète même pas. Tous se valent. Puis, quel est le ministère qui oserait maintenant se mettre en travers de la cour de cassation ? Quand l’opinion sera avec nous, le gouvernement sera avec nous. Après le rapport de 
[Alphonse] Bard et le réquisitoire de [Jean-Pierre] Manau, je défie qu’il n’y ait pas une majorité dreyfusiste dans les chambres.
Vous voyez que je suis dans un moment d’optimisme, bien que les choses ne m’apparaissent pas en rose d’ordinaire. Mon ardent désir est d’en finir avec l’exil, de rentrer chez moi, et de reprendre mes habitudes, après avoir pansé et guéri toutes les plaies qui nous ont été faites pendant ces abominables mois.
Embrassez pour moi votre femme et Jane, comme je vous embrasse vous-même, mon vieil ami.
E »


L’affaire Dreyfus prend un premier tournant le 30 août quand le commandant Henry – que l’on a reconnu avoir produit des faux documents visant à faire accuser le capitaine Dreyfus – passe aux aveux en présence du ministre [de la Guerre], Cavaignac. Un second tournant majeur intervient le 29 octobre, quand la chambre criminelle de la cour de cassation déclare recevable la demande en révision du procès.

Suite à la publication de sa lettre ouverte « J’accuse… ! » parue dans L’Aurore le 13 janvier 1898, Emile Zola se voit condamner une première fois à la peine maximale encourue pour diffamation, soit un an de prison et 3,000 francs d’amende. Après son pourvoi en cassation,  il est de nouveau condamné aux assises le 18 juillet et décide, sur le conseil de ses proches, de partir en exil à Londres pour échapper à la prison.

Cette lettre, écrite lors de son exil à Londres [19 juillet 1898 – 5 juin 1899], témoigne de la réaction de Zola aussitôt le procès rouvert, en été 1899.

Car il se sent épié et sous surveillance, Zola veille à ce que son anonymat soit préservé au mieux. Notons que seules les lettres d’exil de l’écrivain sont signées d’un « E », plus tard d’un « Z ». Ces lettres sont pour lui une façon de crypter, en quelque sorte, ses envois, bien que son écriture soit reconnaissable entre mille. Éprouvé par le mal du pays, il est profondément affecté par l’état des affaires politiques en France : « Jamais la situation n’a été, selon moi, plus désastreuse », écrit-il. Alexandrine, sa femme, lui apporte un soutien sans faille et l’encourage à poursuivre sa lutte.

George Charpentier (1846-1905) est un célèbre éditeur français de la seconde moitié du XIXe siècle. Il se définit lui-même comme « l’éditeur des naturalistes ». Il publie notamment Zola [dont il est l’ami proche qui et le seul visiteur lors de son l’exil Londonien], Flaubert et Maupassant. Il est également un fervent collectionneur d’art ayant promu les peintres impressionnistes.

Lettre publié dans le tome IX de la Correspondance générale de Zola (CNRS, t. IX, 1993)