BOUSQUET, Jöe (1897-1950)

Correspondance de 6 lettres autographes signées, adressées à la revue Variétés.
Carcassonne, 1946-1947, 21 pages in-8

Réalité cosmique et couleur, Dubuffet & Bellmer…

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Fiche descriptive

BOUSQUET, Jöe (1897-1950)

Correspondance de 6 lettres autographes signées, adressées à la revue Variétés.
Carcassonne, 1946-1947, 21 pages in-8
Traces de pliures, quelques petits défauts mineurs, piqures d’épingles et traces de trombone

Remarquable ensemble évoquant notamment plusieurs de ses textes : « Les Trois miroirs » (sur la couleur, parue en 1946 dans le n°3 de la revue Variété), « La rainette du noir » (sur la peinture de Jean Dubuffet, paru dans Le fruit de l’ombre est la saveur en 1947), et un essai sur la sexualité pour un projet de numéro spécial de Variétés


Carcassonne, le 4 mars 1946

« L’avenir seul pourrait donner du prix du lien que je veux voir entre la couleur et sa réalité cosmique »

« Messieurs
Je tiens pour incorrecte la liberté que je prends, en un âge mûr, de proposer un texte à une grande revue qui ne m’a pas fait signe et, probablement, ne me connait pas.
Le contenu de l’écrit que je vous expédie par le même courrier ci-joint me justifiera, au moins à mes propres yeux ; non que sa qualité littéraire autorise plus d’assurance, mais parce qu’il implique un sentiment très particulier des réalités plastiques et m’ouvre des perspectives que je voudrais situer aussitôt.
Moquez-vous de moi si j’ai fait surestimé l’aspect sensible de mes premiers aperçus. Evidemment, l’avenir seul pourrait donner du prix du lien que je veux voir entre la couleur et sa réalité cosmique. Mais ce que je sais de vous tous m’autorise à vous croire plus attentif à un élément brut de création poétique qu’à la trouble et trompeuse leçon d’une réflexion critique m’en ferait retirer.
Au tryptique d’impressions que je coiffe du titre : Les trois miroirs, je pourrais – il est vrai – ajouter des vues plus élargies et qui, sans tomber dans le commentaire, composeraient un ensemble plus éloquent.
Mais ces « textes d’appui » ne m’ont pas paru nécessaires et, de toutes façons, ne vous auraient pas imposé mon écrit si, sur ce que je vous en livre, il devait vous paraître inopportun.
Le premier et le troisième texte fixent deux regards posés sur une reproduction en couleurs de Walter Pater : L’un, à la lumière du soleil, l’autre, par hasard, à travers l’ombre et dans le jaune rayonnement d’une lampe à pétrole. De façon très inattendue, un fait réel m’a imposé un sentiment semblable de la couleur vivante et « habitée ». J’ai cru devoir l’insérer entre les deux autres versions, fixer ainsi la forme la plus directe d’une intuition créatrice que l’attrait littéraire de la narration dénaturera dans le livre.
Excusez-moi de vous avoir intéressé de force à ce petit problème. S’il ne vous captive pas, je sais hélas, qu’il n’intéressera pas personne ? Oubliez ce qu’il entre d’impertinent dans mon procédé : je ne vous demande que la faveur d’être traité comme un débutant. Bien sincèrement à vous.
Joe Bousquet »


Carcassonne, le 3 mai 1946

« Il m’importe de savoir si vous comptez publier ce texte »

« Mademoiselle,
Je me suis permis de vous proposer, il y a quelques temps, des pages qui m’auraient paru à leur place dans la revue Variété. Vous n’avez pas tardé à me répondre que Mademoiselle [Marie-Aimée] Dopagne m’écrierait elle-même.
Il m’importe de savoir si vous comptez publier ce texte ; vous me rendriez service en me le retournant s’il ne vous convenait pas. Vous pouvez me dire en toute liberté que le texte ou le nom de l’auteur ne vous satisfait pas. Dans le premier cas, je pourrais même remplacer ces pages par un poème très récent ; et dans le deuxième cas rester à ma place d’abonné, en toute admiration pour une revue si bien composée.
Recevez l’assurance de ma sympathie.
Joe Bousquet
P.S. Je n’ai publié de poèmes en librairie qu’en tirage de luxe aux éditions du raisin. Les poèmes que je pourrais vous proposer paraîtront chez Gallimard, dans la collection Métamorphoses. » 


Carcassonne, le 10 novembre 1946

« Si vous avez à reproduire en couleurs un Dubuffet, qu’il vous plaît d’examiner mon texte, sachez me le dire, je vous prie, assez à l’avance »

“Madame,
Confus de vous avoir harcelé. Mais je vous aurais pressé davantage si j’avais pu me représenter la très belle apparence de ce fascicule. Mes compliments.
Il manquait à la coupure de l’argus l’eau-forte d’Adam. Je ne sais si je dois plus admirer les dons de l’artiste ou son entrée dans ma pensée. Comment a-t-il compris que je pensais à Dubuffet, et sous-entendu une admiration unique pour le peintre capable de découvrir le taux intime de la couleur et de fixer son timbre et son ascendance géologique ?
J’admire davantage encore l’allusion élégante et puissamment libre à mon peintre – Félicitez, je vous prie, cet artiste de ma part. Il paraîtra cet hiver, préface, plaquette, articles, des textes de moi susceptibles d’introduire une intuition particulière du jour et de la nuit – et d’annoncer une définition de la couleur un peu suggérée dans les Trois miroirs. Ce sera le moment de faire connaitre quelques pages très courtes qui servent de corollaires plastiques à mon intuition. Ces pages sont une interprétation de la peinture de Dubuffet à travers les lois d’un monde à deux principes : Elles supposent une nuit active et non suspendue au jour, posent sur des plans nouveaux la question de la forme ; (et voient la main de Jean Dubuffet comme la Rainette du noir). Si vous avez à reproduire en couleurs un Dubuffet, qu’il vous plaît d’examiner mon texte, sachez me le dire, je vous prie, assez à l’avance. Ces pages ne sont pas au point, et auront, de toutes façons, cet air de suffisance ignorante qui distingue les vues trop neuves. Je n’en disposerai pas avant la fin de l’année. Vous avez le temps de vous consulter sur la question de principe. – Autre cas, très différent : Je viens de confier à un agrégé des lettres la traduction d’un grand poème latin découvert par hasard dans une édition hollandaise du XVIIIe siècle. Il s’agit d’une thérapeutique mêlée de recettes pour la beauté du corps et contre l’impuissance. Il s’en dégage un très étonnant sentiment des ressources vitales de la nature et de l’homme : Exploitation de l’horreur, notion singulière des éléments. J’ai mis en français quelques articles isolables et pense à les publier en revue, sous la signature de mon jeune camarade Michel Brol au lycée, à Carcassonne. Je les vois dans une revue d’art et vous les propose avant de frapper ailleurs. Il y a une préface à écrire. Michel pourrait l’écrire, ou tout autre à qui nous fournirons les éléments. J’ai déjà, en français : Le texte sur l’impuissance et les maladies vénériennes. Sur le mal caduc – ou mal des comices, ce mal se communiquant aux élections qu’il fait annuler, d’accès dans la salle du vote « nul ne peut voter s’il voit son semblable foudroyé sans foudre » Recettes pour rende les cheveux blancs – et pour obtenir des enfants des yeux noirs à l’enfant qui va naître. (Alimenter la maman de pattes de souris).
Pour la tenue des seins (Couronnes de lierre à brûler après voisinage). Je ne sais pas du tout si l’idée de publier dans Variété des extraits de Samoniens [Quintus Serenus Sammonicus] (c’est son nom) ne va pas vous paraître absurde – je ne sais pas davantage sous quelle forme les éditeurs que par la suite je pressentirai envisageront la publication. Je vois ce texte illustré par un caricaturiste. J’y vois une préface insistant sur le choix de la forme, non pas seulement en raison des ressources mémo-techniques du vers, mais par cette raison à suggérer et prouver devant toute la poésie que le poème est surtout un « arrangement merveilleux de spirale », un texte ou l’on ne peut changer un mot. Donc, langage utilisé sous un aspect scientifique, par une séance en formation. Mais tout ceci est à débattre. Excusez-moi de vous avoir si longtemps ennuyée. Merci encore de m’avoir si bien placé dans la revue. Sincèrement votre. Joe Bousquet.
[Il rajoute]
Pour l’éditeur d’art à pourvoir du texte entier je suis à peu près fixé et suis presque sûr de convaincre. C’est pour la publication avant contrat des articles significatifs que je vous sollicite.”


Carcassonne, le 21 novembre 1946

« Je vous enverrai dans peu de jours les textes de Samoniens »

“Chers Camarades,
Je vous enverrai dans peu de jours les textes de Samoniens [Quintus Serenus Sammonicus] bons à prendre place dans le fascicule de Variété consacré à l’amour. J’y ajouterai les pages sur les poisons, sur l’accouchement. Vous éliminerez le superflu.
Voulez-vous, je vous prie, me faire savoir,
1°) S’il faut vous envoyer aussi les fragments correspondants du texte latin.
2°) Puis-je vous demander, pour mon camarade Michel, auteur de la traduction, le tarif appliqué pour la revue Variété.
3°) Je vous donnerai l’adresse de Michel – à qui vous réglerez directement – après publication – le prix correspondant aux pages traduites. La préface, dont je me charge, serait réglée à part.
Ceci n’est pas conditionnel. Nous acceptons, dans tous les cas ; la publication de ces pages de Samoniens. Elles sont excellentes.
Monsieur Michel, sur mon conseil, vous proposera en même temps – en traduction – de très singuliers poèmes érotiques de troubadours provençaux. Tout cela vous sera expédié dès le commencement de la semaine prochaine. Bien à vous
Joe Bousquet
PS : Samoniens n’est pas « un ouvrage latin moderne ». C’est un authentique médecin latin, très inconnu et dont je n’ai trouvé la thérapeutique que dans la vielle édition hollandaise. Les soins de beauté et les remèdes n’en sont que plus curieux.”


Carcassonne, le 6 janvier 1947

 « Mes allusions d’érudition sont authentiques. Je n’ai pas précisé la plus libertine. Il s’agit d’une maéchiologie »

“Cher Monsieur
Ne vous inquiétez pas. Je mettrai à la poste, demain, sous deux plis différents, les textes traduits par Michel et mon texte – préface. Je vous envoie les manuscrits pour éviter un nouveau retard. Ils sont lisibles. Vous verrez que j’ai dû corriger la traduction en plus d’un endroit. J’y fais joindre des textes à-côté, facultatifs par conséquent. Vous éliminerez ce qui sera de trop.
La préface vous paraîtra peut-être un peu longue. Vous couperez si vous la trouvez trop étendue. Je me suis attaché à expliquer le disparate apparent des textes, mais surtout à justifier les recherches sur l’amour, à suggérer une nouvelle mythologie de l’amour. Mes allusions d’érudition sont authentiques. Je n’ai pas précisé la plus libertine. Il s’agit d’une maéchiologie. Traité des pêchés – ou un savant casuiste explique en latin qu’éveillé au seuil d’une pollution nocturne, il fallait éviter le flux, et il donne la recette. (Utilisable à des fins profanes).
Je n’ai plus le texte, pourrais peut-être le trouver. Je crois que l’allusion suffit. Incompréhensible au public en latin, le texte du curé, en français, est infect. Il s’agit d’appliquer l’index entre l’anus et la racine de la verge.
(Il ne s’agit toujours que de ma préface[)]. Le secret de Ninon de Lenclos, que je divulgue, je l’ai trouvé dans un livre d’Edouard Fournier – érudit du siècle dernier.
Enfin, vous allez recevoir tout cela – Mademoiselle Dopagne ne nous a pas écrit. Je suis bien sincèrement à vous.
Joe Bousquet”


Carcassonne, le 9 janvier 1947

« Comment n’avez-vous pas pensé à demander à Hans Bellmer des dessins, non pas érotiques, mais ressortant à la dynamique amoureuse » 

Chers camarades,
Après réflexion, j’adopte une disposition possible sur l’ensemble, et vous la soumets, en un seul envoi, sans émettre de préférence.
Ma préface, ainsi rédigée, permet qu’on y encarte le seul poème de la comtesse de Die [Beatriz de Dia] que j’ai obtenu de Louis Michel. Elle ouvre naturellement sur les extraits de [Quintus Serenus] Sammonicus. Vous pouvez éliminer ceux de ces textes qui n’ont qu’une relation latérale au sujet. J’exclus les passages concernant « les méfaits du froid » et « l’épilepsie ». Ils m’ont paru trop éloignés du sujet.
Il est possible que certains passages de ma préface vous scandalisent (tout le monde est aujourd’hui si timide) En ce cas, je vous autorise à opérer des coupures.
Mais, dans ce cas évidemment, et dans tous les cas si ce n’était pas trop demander, voudriez-vous me faire l’amitié de m’envoyer le plus tôt possible une copie dactylographiée du manuscrit – que, bien entendu, vous garderez. Je voudrais garder ce texte sous les yeux en exploitant pour moi certaines des vues qui y sont suggérées. Ce n’est pas à moi qu’il appartient de vous dire que ce texte est important : de toutes façons, j’y il est très important pour moi.
Je ne vous rien de plus à vous dire, sauf ce conseil : Avez-vous pensé à fouiller les Maechiologies : J’en cite une, non pas les textes ironiques écrits contre ces casuistiques, mais ces casuistiques elles-mêmes pourvues de l’Imprimatur et écrites partie en français, partie en latin. Vous y trouverez des textes prodigieux sur l’amour avec les canards, les volailles : une recette, comme je le dis, pour empêcher l’éjaculation quand on s’éveille à temps d’un rêve érotique, etc…
Avez-vous pensé à réunir des lettres d’amour écrites par des enfants ?
J’ai dans un coin – mais où ? – des images de piété confiées jadis à une pucelle, au dos desquelles figuraient des déclarations échangées par des fillettes. Mais j’aurais beaucoup de mal à les retrouver et elles tenaient toute leur originalité du véhicule utilisé. L’éditeur, certainement, reculerait.
Comment n’avez-vous pas pensé à demander à Hans Bellmer des dessins, non pas érotiques, mais ressortant à la dynamique amoureuse. Il a fait, ces temps-ci, des choses extraordinaires. Jugez d’après cette photographie très manquée (il s’agit d’une femme-phallus).
J’espère que ma préface vous plaira. Croyez à ma vive sympathie.
Joe Bousquet
[Il rajoute au sujet de Bellmer]
Il ne manque pas d’images plus publiables, sa poupée, pour commencer.
P.S.
1) L’adresse de Louis Michel, le traducteur est :
Louis Michel, professeur agrégé au Lycée 1, rue de Lafontaine. Carcassonne. Il serait bon que Madame Dopagne, qui ne m’a pas écrit, entre en rapports directs avec lui. La traduction de ces fragments doit lui être payée à part, évidemment, et à moi la préface.
2) Je vous laisse libre de bouleverser l’ordre que j’ai adopté.

Jöe Bousquet, qui a découvert l’œuvre de Jean Dubuffet en 1944 grâce à Jean Paulhan, entamme une relation épistolaire avec le peintre, qui lui offre un tableau. Il le rencontre en 1947 ; Jean Dubuffet réalise alors plusieurs portraits de lui.

Jöe Bousquet fait également ici l’éloge de Hans Bellmer, qu’il connaît bien pour l’avoir un temps hébergé.

Variétés, une des belles revues littéraires et artistiques de la libération, est fondée par Marie-Aimée Dopagne avec l’appui de son mari Jacques Dopagne, écrivain, scénariste et, plus tard, historien de l’art. La publication comprend trois numéros luxueux et illustrés. Jean Paulhan, qui contribue par un article aux deux premiers numéros tout en jouant un rôle de conseiller et d’intermédiaire avec divers auteurs, figure dans le comité de lecture du troisième numéro, aux côtés, entre autres, de Marcel Arland. Un quatrième numéro est envisagé, mais il restera à l’état de projet. Il aurait dû être consacré à l’érotisme puis plus largement à l’amour, sous la coordination Henri Pastoureau et Gilbert Lély. Ces derniers laissent la revue s’imprégner de la mouvance surréaliste et ses marges.