LINDER, Max (1883-1925)

Deux lettres autographes signées « Max » à sa mère Suzanne Baron
S.l.n.d. [été-automne 1925], en tout 3 p. 1/2 in-4°, à l’encre bleue

« Je me demande souvent pourquoi je suis au monde, car ma vie est faite de souffrance continuelle »

EUR 8.000,-
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Fiche descriptive

LINDER, Max (1883-1925)

Deux lettres autographes signées « Max » à sa mère Suzanne Baron
S.l.n.d. [été-automne 1925], en tout 3 p. 1/2 in-4°, à l’encre bleue
Sur papiers filigranés
Froissures, habiles réparations de déchirures et comblements aux marges
Petits manques angulaires sans gravité ni atteinte au texte
Annotations typographiques au pastel gras
Foliotations « 5 » et « 6 » aux coins supérieurs droit
Trois mots caviardés par Linder

Questionnements existentiels, situation maritale critique et projets de tournages :
Deux lettres pathétiques à sa mère, peu avant son suicide

Les lettres autographes de Max Linder sont de toute rareté


Première lettre

« Ma chère mère
Quelle vie je mène c’est effroyable. Ma femme veut maintenant l’enfant, et elle est arrivée hier au soir à la maison pour me dire qu’elle resterait avec moi jusqu’au divorce ; naturellement cela m’a empêché d’envoyer l’enfant, mais je vais voir mon avocat si je puis l’envoyer sans danger. Tu dois comprendre la vie que je mène. Je couche dans le bureau. Je ne sais si je t’ai dit que mon contrat était sous le régime de la communauté de biens, et j’ai peur qu’elle ne me prenne une partie de mon argent.
Je me demande souvent pourquoi je suis au monde, car ma vie est faite de souffrance continuelle.
Il y a des milliers de femmes dans l’univers, il y en a beaucoup d’honnêtes et de bonnes, mais pourquoi suis-je tombé sur la seule peut-être qui ait de pareils vices. –
Je vais tâcher d’avoir du courage pour passer ce terrible moment. Ce qui est dangereux, c’est que je dois commencer à tourner mon film [sans doute l’adaptation du Chasseur de chez Maxim’s, qui ne verra jamais le jour] ; et pour que je fasse du beau travail, il faudrait que j’ai un calme d’esprit absolu […]
Je vous embrasse tous bien fort, ton fils qui t’aime beaucoup beaucoup
Max »

Seconde lettre

« Ma chère mère
J’ignore encore comment va finir cette triste affaire ; ma femme est venue me demander de lui pardonner encore une fois, mais si je le faisais ça serait à recommencer dans quelques temps. Je lui ai dit une chose qu’elle n’acceptera sûrement pas, c’est de me signer un acte comme quoi si elle me trompait l’enfantmeserait à moi pour toujours, c’est-à-dire qu’elle ne la verrai[t] plus jamais.
Mais tout cela sont des mots, il faut attendre les décisions définitives. – Il y a une chose dont je ne suis pas partisan, c’est que cet enfant soit tiré d’un côté par moi et de l’autre par sa mère. J’ai aussi bien envie de dire à ma femme ou bien elle a l’enfant complètement et je ne m’en occupe jamais plus ou bien j’ai l’enfant de maintenant pour toujours. […]
Je t’embrasse bien fort tout comme je t’aime
Votre fils qui vous aime beaucoup
Max »


Linder rencontre Hélène Peters en 1921, alors que sa carrière décline et qu’elle n’est encore qu’une adolescente de seize ans. Leur union, célébrée le 1ᵉʳ août 1923, suscite alors un important scandale médiatique. À cette période déjà marquée par de graves difficultés professionnelles, des problèmes de santé et une jalousie obsessionnelle, Max Linder nourrit des pensées suicidaires. La naissance de leur fille Maud, dite Josette, en juin 1924, intervient dans un climat conjugal profondément déchirant.
Malgré le succès de Le Roi du cirque (1924), la préparation achevée de la superproduction Le Chevalier Barkas et son engagement pour tourner l’adaptation du Chasseur de chez Maxim’s, il interrompt brusquement toute activité artistique, accablé par la dépression et la procédure de divorce engagée par Hélène.
Parmi ses rares confidents, sa mère reçoit à cette période plusieurs lettres empreintes d’angoisse et de désespoir. Les deux missives ici présentées, qui s’inscrivent clairement dans ce contexte d’effondrement intime, peuvent être datées avec certitude de l’été ou de l’automne 1925.
Alors que le couple réside à l’hôtel Baltimore, 88b avenue Kléber, leurs corps y sont découverts le 31 octobre 1925, les veines tailladées. Max, qui a forcé son Hélène à ingurgiter un puissant sédatif sous la menace d’un pistolet, lui taillade les veines, puis s’applique à lui-même le même geste, scellant ainsi leur tragique destin.
Leur fille Maud Linder sera recueillie par ses grands-parents maternels après le suicide de ses parents.

Nous n’avons pas retrouvé trace de publication de ces deux lettres, qui semblent inédites


ON JOINT : Deux importants témoignages inédits par des proches de Max Linder

Une lettre tapuscrite signée de Armand Massard à un avocat
Champion olympique d’escrime multi-médaillé puis président du Comité olympique français, Armand Massard (1884-1971) collabora avec Linder sur plusieurs projets cinématographiques, dont Comment Max fait le tour du monde (1910) et Max contre Nick Winter (1912).
[Paris], 10 avril 1931, 2 p. in-4° sur papier vergé bleu
Plusieurs manques marginaux, sans atteinte au texte

Un exceptionnel témoignage d’Armand Massard, relatant en détail la rencontre du couple infernal à Chamonix, en 1921

« […] Je ne puis cependant oublier que, lié avec Max LINDER par des affinités sportives, je ne me suis brouillé avec lui que la veille de son mariage, lorsqu’avec ses meilleurs amis nous avons constaté qu’il était à ce point tenu par celle qui passait, jusque-là, pour sa fiancée, qu’il ne voulait plus écouter aucun conseil de prudence.
J’étais au Majestic Palace à Chamonix, lorsque Max LINDER y retrouva celle qu’il avait connue fillette, au cours de précédents voyages en Suisse, où circulait beaucoup sa mère naturelle Mme PETERS, avec qui Max était déjà en relations. […]
LANDRIEU avait été, comme moi, frappé de la tenue plus que libre de cette jeune fille de seize ans livrée à elle-même dans un palace en pleine saison de sports d’hiver. […]
Flirtant ostensiblement, rendant déjà Max jaloux par son attitude équivoque avec un professeur de danse ou même ROBERT, Mlle P.[eters] demeurait chaque soir très tard à danser et à s’amuser de mille fantaisies, tout à fait déplacées pour une jeune fille si moderne soit-elle.[…]
Toutes mes remontrances se heurtaient à une volonté bien arrêtée de la part de cette dernière de fuir loin de sa mère, opposée, disait-elle, à ce mariage […]
Je les raisonnai longuement, montrant à Max les responsabilités de tous ordres qu’il encourait.
Je finis par les faire renoncer provisoirement à ce coup de tête. […]
Ce ne devait être que partie remise.
Pour moi qui continuai de voir Max de loin en loin (j’avais refusé de lui servir de témoin lorsqu’il se maria), rapproché surtout par des rapports d’ordre cinématographiques, j’ai constaté que si son moral se ressentait cruellement des déboires incessants qu’il éprouvait, sa lucidité fut toujours parfaite : c’est d’ailleurs dans le chagrin de son existence tourmentée qu’il réalisait ses meilleurs films où perçait l’amertume douloureuse qu’il portait en lui. […] »

Une lettre tapuscrite signée de Charles Le Fraper à Armand Massard
Paris, 17 avril 1931, 1 p. 1/4 in-4°
En-tête du Courrier Cinématographique
Déchirure en marge supérieure restaurée au ruban adhésif
Marques de pliures d’époque, marges irrégulières

Admirable témoignage du journaliste Charles Le Fraper, proche de l’acteur et ardent défenseur de sa mémoire

« Que vous dire au sujet de Max LINDER que tous ses amis ne sachent déjà ?
J’étais de ceux qui l’ont approché de très près et qui l’ont suivi depuis le début de sa magnifique carrière. Je puis dire combien cet ami dévoué était en parfait équilibre mental.
Où l’ai-je connu ?
À la Salle d’armes BAUDRY, il me semble en 1908 ou 1909. Je ne sais plus exactement tant la date de notre entrée en relations est éloignée. […]
Instruit, homme du monde, artiste, il n’avait rien d’un bohème, ni rien d’un déséquilibré.
Rappelez-vous son petit intérieur de célibataire au Quai d’Orsay, présidé par la vieille et fidèle gouvernante MARIE, avez-vous rencontré beaucoup d’intérieurs mieux tenus et plus sagement administrés. […]
Avez-vous beaucoup d’acteurs en scène, même parmi les plus célèbres, sachant comme lui, établir le devis d’un film et en discuter article par article le budget ?
Non, mon cher MASSARD, il n’en existe pas de mieux doué et d’un esprit plus sain.
Le drame où il a sombré, m’a plongé dans la stupeur, je ne me l’explique pas et nul ne se l’expliquera tant il fut foudroyant et inattendu. […] »

Provenance :
Coll. P.E.