NERVAL (de), Gérard (1808-1855)

Lettre autographe signée « Gérard de Nerval » au Journal des Débats
S.l.n.d [été 1851], 2 p. in-12

« Si vous appréciez le soin littéraire que j’apporte à mes travaux […] j’espère que vous ne me reprocherez pas trop sérieusement le scepticisme que certains critiques ont cru reconnaître dans ce Voyage »

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Fiche descriptive

NERVAL (de), Gérard (1808-1855)

Lettre autographe signée « Gérard de Nerval » à un critique littéraire du Journal des Débats
S.l.n.d [été 1851], 2 p. in-12

Rare supplique de Nerval auprès du Journal des Débats pour un article élogieux sur Voyage en Orient, paru la même année
Le poète évoque par ailleurs la fielleuse nécrologie que lui a consacrée Janin dans le même journal dix ans plus tôt


« Monsieur
Je vous adresse deux volumes qui ont paru récemment [Voyage en Orient], regrettant que l’Editeur ne vous les ait point envoyés au moment où vous vous occupiez d’ouvrages du même format. Si vous pouviez dire un mot des miens, je serais heureux de voir mon nom reparaître dans le Journal des Débats qui en 1841 (mars) m’a consacré un article de Janin dans une circonstance bien malheureuse qui heureusement n’a pas eu les résultats que l’on craignait.
Si vous appréciez le soin littéraire que j’apporte à mes travaux comme j’aime et j’honore votre savante critique, j’espère que vous ne me reprocherez pas trop sérieusement le scepticisme que certains critiques ont cru reconnaître dans ce Voyage. Les portions incriminées ont paru dans une époque où ces sortes d’idées appartenaient à une fantaisie sans conséquence, et si vous avez lu dans la Revue des 2 Mondes l’étude que j’ai écrite sous le titre des Confidences de Nicolas l’année dernière, vous y aurez apprécié du moins le sentiment moral et même religieux qui à mon âge arrive à dominer mes pensées. Du reste, Monsieur, quoique vous écriviez sur mon compte, je serai heureux de recevoir vos conseils.
Votre bien dévoué serviteur
Gérard de Nerval
S’il fallait un exemplaire de plus pour le journal je vous serai bien obligé si vous voulez m’en prévenir, rue des Martyrs, 66 »


Nerval exprime son vif souhait de reparaître dans Le Journal des Débats, l’un des médias majeurs du cercle littéraire au XIXe siècle. Il revient toutefois sur la fielleuse notice nécrologique que Janin a écrite dix ans plus tôt à son sujet dans le même journal, ce dernier évoquant déjà la folie du poète. C’est en effet en février 1841 qu’une crise force Gérard de Nerval à se faire soigner chez le docteur Esprit Blanche (1796-1852) et à être interné en clinique de mars à novembre de cette année. La crise est d’une telle violence qu’il ne s’en remet, et que partiellement, qu’en été 1842.

Après avoir flatté son correspondant, Nerval termine son argumentaire en évoquant sa récente étude sur Nicolas Edme Restif de La Bretonne (1734-1806) dans son ouvrage Les Confidences de Nicolas. Histoire d’une vie littéraire au XVIIIe siècle (1850).  Il s’agit d’une longue étude où le romantique laisse notamment prévaloir son « sentiment moral et religieux ». Usant très librement des textes autobiographiques laissés par son modèle, Nerval s’applique à recomposer sa vie.

Nerval envisage tôt d’effectuer un grand voyage en Orient. Ce projet est toutefois mis à mal en 1841 en raison de troubles mentaux. Ces derniers l’affectent tant lui que sa réputation littéraire. Au sortir de ses déboires, son désir de partir n’en est que plus grand. Il compte en effet sur une telle aventure pour entamer « une grande entreprise qui efface le souvenir de tout cela et qui [lui] donne aux yeux des gens une physionomie nouvelle », ainsi qu’il l’écrit à son père. On comprend donc pleinement les motivations de l’auteur à rejoindre un environnement plus sain, qui ne fera plus de lui un fou à lier. Il projette de raconter cet environnement dans un ouvrage richement illustré sur ses voyages, qui prouverait que son talent n’est pas altéré. Commence alors un périple en 1843 qui mène Nerval à Malte, en Égypte, en Syrie, au Liban ou encore en Turquie, au terme duquel il achève ses récits de voyages, quelque peu romancés, dans les pas de Chateaubriand mais avec sa singularité. En effet, il envisage l’Orient de manière différente que ses contemporains et prédécesseurs de la première vague du romantisme. Quand ces derniers en voyaient une terre de conquêtes (militaire, religieuse, intellectuelle) sur fond de destinée à réaliser, Nerval a un positionnement différent : pour lui, l’Orient, c’est l’occasion de se documenter et d’enrichir ses œuvres, de leur donner une teinte érudite. Cette écriture est d’ailleurs un point charnière entre romantisme et réalisme. C’est ainsi que l’on aboutit à Voyage en Orient (1851), un chemin initiatique à la fois source de savoirs et parcours poétique à part entière, où une plume débridée vit un rêve et rêve la vie, le tout avec ésotérisme et symboles.

Belle signature complète de son nom d’écrivain

Références :
– Catalogue de la Librairie Privat, 1953 ;
– Studi francesi (Turin), 1967, n° 33, p. 454 ;
– Œuvres complètes de Nerval – Gallimard / “Bibliothèque de la Pléiade”, t. II, 1984, p. 1290 (éd. Guillaume-Pichois) ;
Gérard de Nerval, Claude Pichois et Michel Brix, Fayard (Paris), p. 304

Provenance :
Collection Bernard Charlot