APOLLINAIRE, Guillaume (1880-1918)

Poème épistolaire autographe signé « Guillaume Apollinaire », à André Billy
Nîmes, le 22 mars 1915, 1 p. in-8° à en-tête du Café Tortoni

« Sur son beau front brille une flamme / Dans sa main fleurit un rameau »

EUR 9.000,-
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Fiche descriptive

APOLLINAIRE, Guillaume (1880-1918)

Poème épistolaire autographe signé « Guillaume Apollinaire », à André Billy
Nîmes, le 22 mars 1915, 1 p. in-8° à en-tête du Café Tortoni
Traces de pliures, petites taches, infime déchirures marginales, annotations typographiques

Brillante épître poétique improvisée depuis le Café Tortoni de Nîmes, où le poète avait ses habitudes


« De l’École et de la Roulette
Tu me fais un tableau charmant
Mais pour toi combien je regrette
O Billy ton emmerdement

Tu t’en iras bientôt j’espère
Près des Cocteau près des Romains
Peut-être y verras-tu Royère
Auquel je baise les deux mains

Car c’est un cœur et c’est une âme
et c’est un poète en un mot
Sur son beau front brille une flamme
Dans sa main fleurit un rameau

Mais moi pour l’Hellespont antique
Ne suis pas parti cette fois
Il fait un soleil électrique
Voici venir le plus doux des mois »


Il est toujours émouvant, même quand le texte est connu, de découvrir sa première version manuscrite. C’est le cas pour ce poème faisant partie d’un échange épistolaire entre Apollinaire et son ami André Billy (1882-1971) pendant la guerre de 14-18, en mars 1915, dévoilés sauf erreur après plus de cent ans. On note immédiatement l’absence de ponctuation, chère au poète.
Au 6e vers il faut bien lire : près des Cocteau et non près de Cocteau, comme transcrit dans la Correspondance générale, tome 2, 1915, p. 221. Ce n’est pas un détail, nous y reviendrons.

Billy, en mars 1915, était resté à Paris, où il s’embêtait, alors que Wilhelm de Kostrowitzky à la suite de son engagement volontaire faisait ses classes à Nîmes dans l’artillerie et usait abondamment du papier à lettres du café Tortoni où il avait ses habitudes. André Billy, qui taquinait aussi la muse, était journaliste et dès août 1915 il allait publier dans le Mercure de France une partie de leur « Correspondance poétique », en prenant soin cependant de ne pas écrire les noms en clair. Le numéro en bleu en marge du manuscrit est probablement destiné au Mercure. André Billy avait ainsi commenté cette publication quasi sur le vif : « De jeunes écrivains, arrachés par la guerre à leurs occupations favorites, ont adopté un usage charmant : ils correspondent en vers, ce qui prouve au moins, on en conviendra, un moral de tout repos. /Nous avons sous les yeux un certain nombre de ces épîtres poétiques. Souhaitons que quelqu’un, plus tard, les réunisse toutes. Elles constituent de précieux documents littéraires et psychologiques. ». C’est dire que ces poèmes écrits vite sans aucun doute étaient cependant plus ou moins clairement destinés à une publication. Les auteurs avaient conscience de la valeur de témoignage de ces échanges et soignaient leurs textes. Dès 1923, André Billy publia cette correspondance dans son Apollinaire vivant, avec ses propres poèmes qui éclairent les allusions d’Apollinaire : leurs amis communs, le cévenol Léo Larguier, qui sera blessé en septembre 1915 et siégera plus tard comme Billy à l’Académie Goncourt, le jeune Cocteau, Jules Romains. : des noms qui deviendront célèbres au XXe siècle. Ce poème empreint de nostalgie et de mélancolie est loin de manifester le moindre enthousiasme pour la guerre.

Si l’on y regarde de plus près, il ne manque pas d’ironie. Billy, en attente d’une affectation dans l’administration, encaserné dans une école, se plaint en badinant de son inaction à Paris, meublée par le jeu de la « roulette » qu’on a quelque peine à imaginer. Apollinaire lui oppose son souhait de le voir rejoindre les Cocteau, les Romains, c’est-à-dire tous ceux qui pour une raison ou une autre ne sont pas au front. Cocteau s’engagera plus tard pour être finalement réformé pour raison de santé ; Jules Romains ne fit pas la guerre. Quant à Jean Royère, né en 1871, il n’était pas mobilisable. Sa présence dans l’énumération est curieuse, on peut soupçonner Apollinaire d’avoir cédé à la contrainte de la rime en « ère »…. tout en rendant hommage à un écrivain qu’il admirait. Il s’apprêtait quant à lui à être envoyé dans les Dardanelles, ce qui ne se fit pas.  Entre ces deux vrais amis, l’humour du premier, qui « en rajoute » sur son sort, peut-être pour masquer sa gêne d’être en compagnie des « embusqués » comme l’ironie du second restent sur un mode plaisant. Le 26 avril, Apollinaire écrira à Billy : « Je te le dis, André Billy, que cette guerre/C’est Obus-Roi/Beaucoup plus tragique qu’Ubu mais qui n’est guère/Billy crois-moi/Moins burlesque, ô mon vieux, crois-moi c’est très comique ». L’humour a tourné au noir…

Ces échanges témoignent entre autres de la nécessité pour les soldats éloignés de leur milieu intellectuel et affectif de garder le contact pour supporter la séparation. Si Apollinaire en mars 1915 n’avait pas encore connu le front, il savait déjà que la mort rôdait.

Références :
André Billy, Apollinaire vivant, Éditions de la Sirène, 1923.
Victor Martin-Schmets, Correspondance générale tome 2, 1915
Lettres reçues par Guillaume Apollinaire, tome 1, A-C
Apollinaire – Œuvres poétiques, bibl. de la Pléiade, p. 770