ARAGON, Louis (1897-1982)
Poème autographe signée « Aragon »
[Paris], 25 janvier [1945], 2 p. in-4°
« Ni l’œillet ni le romarin / N’ont gardé le parfum des larmes »
Fiche descriptive
ARAGON, Louis (1897-1982)
Poème autographe signée « Aragon »
[Paris], 25 janvier [1945], 2 p. in-4°
Fente au pli central renforcée, petites taches, infime manque en marge supérieure, trace de trombone sur la seconde page, pliures
Précieuse copie manuscrite de ce bouleversant poème de Résistance composé à Carcassonne en septembre 1940, quelques semaines seulement après l’invasion allemande
« Fading de la tristesse oubli
Le bruit du cœur faiblit
Et la cendre blanchit la braise
J’ai bu l’été comme un vin doux
J’ai rêvé pendant ce mois d’août
Dans un château rose en Corrèze
Qu’était-ce qui faisait soudain
Un sanglot lourd dans le jardin
Un sourd reproche dans la brise
Ah ne m’éveillez pas trop tôt
Rien qu’un instant de bel canto
Le désespoir démobilise
Il m’avait un instant semblé
Entendre au milieu des blés
Confusément le bruit des armes
D’où me venait ce grand chagrin
Ni l’œillet ni le romarin
N’ont gardé le parfum des larmes
J’ai perdu je ne sais comment
Le noir secret de mon tourment
À son tour l’ombre se démembre
Je cherchais à n’en plus finir
Cette douleur sans souvenir
Quand parut l’aube de septembre
Mon amour j’étais dans tes bras
Au-dehors quelqu’un murmura
Une vieille chanson de France
Mon mal enfin s’est reconnu
Et son refrain comme un pied nu
Troubla l’eau verte du silence
Aragon
Septembre 1940 »
Ce célèbre poème témoigne du génie poétique d’Aragon à mêler la douceur mélancolique des amours perdues aux sentiments de désespoir des années de guerre. Par un cri de l’âme pour la patrie, ces vers demeurent parmi les plus emblématiques au milieu de ces heures sombres que traversent alors la France, qui en est au début de l’occupation.
Au mois de mai 1940, la débâcle des armées françaises et l’invasion allemande sur le territoire forcent Aragon à fuir la Belgique pour rejoindre Dunkerque, où il embarque en catastrophe le 1er juin pour l’Angleterre. De retour en France au mois de juillet, il parvient à rejoindre son épouse Elsa Triolet en Charentes, puis en Dordogne. Démobilisé le 31 juillet alors qu’il se trouve en Périgord, il se réfugie avec Elsa chez Renaud de Jouvenel, qui possède un château près de Brive-la-Gaillarde. Aragon évoque, dans la première strophe, les jours heureux passés dans ce havre de paix :
« J’ai bu l’été comme un vin doux
J’ai rêvé pendant ce mois d’août
Dans un château rose en Corrèze »
Le couple doit cependant poursuivre sa route et quitter le château de Varetz. Ils retrouvent au début de septembre 1940 Jean Paulhan, à Carcassonne qui leur présente Pierre Seghers. C’est toujours à Carcassonne que le poète compose « Zone libre ». Ainsi se défini son engagement patriotique. La Résistance non par les armes, mais par le verbe.
Ce séjour dans la citée fortifiée (où il restera jusqu’en décembre) permet à Aragon d’y retrouver une « une figure humaine », comme il l’explique dans une lettre à Georges Besson, le 20 décembre 1940 : « car la Belgique, les Flandres, Dunkerque et après passage en Angleterre et la campagne de France de la basse Seine à la Dordogne, ça vous met par terre un type de quarante-trois piges qui a un foie, et depuis Dunkerque, un cœur en compote »
Disposé en cinq sizains, le présent poème, de structure octosyllabique, se compose de rimes suivies sur chacun des deux premiers vers, puis en rimes embrassées sur les quatre suivants. Le premier manuscrit est aujourd’hui conservé à la Fondation Triolet Aragon. Publié pour la première fois dans la revue Fontaine (Alger), n°13, février-mai 1941 (avec « Poème interrompu », « Richard II quarante » et « Elsa je t’aime ») « Zone libre » prend ensuite place dans le Crève-cœur, magnifiquement dédié « À Elsa, chaque battement de mon cœur ». Le recueil est publié chez Gallimard, dans la collection « Métamorphoses », n° XI, (25 avril) 1941.
Au verso du poème :
Une cette lettre autographe signée « Aragon »
datée du 25 janvier [1945, selon une annotation manuscrite à la mine de plomb], 1/2 p. in-4°
Aragon y explique son pseudonyme de clandestinité et évoque son recueil La Diane française
« Cher Monsieur, Je trouve votre mot à mon retour à Paris. Je vous envoie la petite plaquette parue dans l’illégalité sous la signature François La Colère. Vous y trouverez la « Ballade de celui qui chanta dans les supplices », le « Prélude à la Diane française » qui ont été lus, entre autres, à la Comédie française. Je vous recopie (au dos) le poème que vous me demandez. J’espère que vous aurez ainsi ce qu’il vous fallait, et vous remercie de perdre votre temps pour moi. Très sympathiquement, Aragon. »
Provenance :
Collection particulière (Une bibliothèque littéraire du XXᵉ siècle)
Bibliographie :
[Voir supra]
Œuvres poétiques complètes, t. I, éd. Olivier Barbarant, Pléiade, p. 720-721