BAUDELAIRE, Charles (1821-1867)

[Deuxième notice sur] Pierre Dupont – Épreuves corrigées
[Paris] 6 juin 1861 [cachet du composteur], 11 p. in-8vo bradel cartonnage papier marbré

« Le public était tellement las de Victor Hugo, de ses infatigables facultés, de ses indestructibles beautés »

EUR 17.500,-
Ajouter à la sélection
Fiche descriptive

BAUDELAIRE, Charles (1821-1867)

[Deuxième notice sur] Pierre Dupont – Épreuves corrigées et signées de la main de Baudelaire
[Paris] 6 juin 1861 [cachet du composteur], 11 p. in-8vo bradel cartonnage papier marbré (V. Champs)
3 ff. in-8vo paginés [201]-206, + 5 p. sur 3 ff. paginés 132-136 pour les trois chansons de Dupont qui portent des corrections purement typographiques à l’encre, vraisemblablement à l’intention d’un prote
Dos légèrement frotté

Des anciennes collections de la Baronne Alexandrine de Rothschild et du Colonel Daniel Sickles, provenant de la vente Albert et Monique Kies

Célèbres et précieuses épreuves consacrées à Pierre Dupont, abondamment corrigées et signées par Baudelaire


Bien qu’étant une notice laudative consacrée à son ami Pierre Dupont, Baudelaire ouvre le feu d’emblée à l’encontre de Victor Hugo. Il souligne chez lui ses « infatigables facultés », dont le public est devenu « tellement las ». On observe ainsi toute l’ambivalence des sentiments éprouvés par l’auteur des Fleurs du mal pour celui des Misérables. Baudelaire hérite de la partie la plus obscure du romantisme mais ne peut toutefois s’empêcher de réprimer le pair de France, père de famille à genoux devant une nature, que lui exècre.

Historique de la notice :
[Première] épreuve corrigée, plus d’un an auparavant, pour l’anthologie d’Eugène Crépet : Les Poètes français / Recueil des chefs d’œuvre de la Poésie française // Les Contemporains. P., Hachette (fin juillet) 1862, t. IV pp. [609] – 615 suivies de trois chansons pp. 616-620.
Crépet en avait autorisé, moyennant finances, la publication anticipée dans la Revue fantaisiste de Mendès du 15 août 1861, parue sous le titre collectif depuis lors retenu : « Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains »

Aucun doute que notre épreuve du 6 juin 1861 précède la Revue fantaisiste, pour laquelle il existe d’ailleurs une épreuve avec de petites corrections, toutes toutes d’ordre typographique. Baudelaire aurait-il communiqué à Poupart-Davyl, l’imprimeur de la Revue fantaisiste, un jeu de cette seconde épreuve ? Il a en effet demandé à l’imprimeur de l’anthologie [J. Claye] une seconde épreuve pour entériner ses « retouches » et coupures.

Notre première épreuve présente des similitudes avec la Revue fantaisiste de 1861, par exemple :
« […] cette gloire était trop grande. Mais aujourd’hui, ils sont trop bien vengés ; car » (identique à la version de la Revue) que l’on retrouve sous cette forme chez Crépet en 1862 : « […] grande, mais […] vengés, car ». Nous pouvons alors nous demander si Mendès avait connaissance des réticences qui mécontentent le poète.

Tout comme dans la Revue deux mois plus tard, la charge contre Ponsard est ôtée dès cette première épreuve : « Cette nuée vomit M. Francis Ponsard [biffé, ajout en interligne :] les néo-classiques, qui valait bien à lui seul [biffé, ajout en interligne :] certes valaient bien plusieurs légions de sauterelles ».

Puis : « Le public était tellement las de Victor Hugo, tellement las [biffé] de ses infatigables facultés »

De même certaine ferveur nuancée : « Car il serait injuste de croire que tous les hommes, même en France, sont tous et toujours [biffé] également vils, bêtes et ignorants [biffé, ajout en interligne :] bêtes et coupables.

Théodore de Banville avait produit les Cariatides ; (…) » [« Déjà Théodore de Banville avait, mais vainement, produit » (in Revue fantaisiste), oubli Pichois].

L’amitié solide entre Pierre Dupont et Charles Baudelaire ne fait aucun doute, en témoignent les concernés eux-mêmes, mais aussi des membres de leur entourage. Nés la même année – 1821 ­–, l’un à Lyon, l’autre à Paris, rien ne semble les prédisposer à se lier de la sorte : milieux d’origine, talents et tempéraments différents. De 1842 à 1854 peut-être, ils ne paraissent pas tant partager une lutte commune qu’une série de moments privilégiés faits de rencontres et d‘aventures vécus avec une intensité, implication ou nonchalance à l’envi au gré des instants et des désirs de l’un et l’autre.

Particulièrement valorisant, le texte de Baudelaire est bienveillant envers le chansonnier : « Je sais que les ouvrages de Pierre Dupont ne sont pas d’un goû[t] fini et parfait […] Pour achever en quelques mots, il appartient à cette aristocratie naturelle des esprits qui doivent infiniment plus à la nature qu’à l’art, et qui, comme deux autres grands poètes A[uguste] Barbier et madame Desbordes-Valmore, ne trouve que par la spontanéité de l’âme l’expression, le chant, l[e] cri, destinés à se graver éternellement dans toutes les mémoires »
Les années 1848 consacrent Dupont : « L’amour est plus fort que la guerre ! ». Baudelaire lui offre une mémoire collective, presque au rang des plus grands. (Voir la première notice de 1851, n°64)

Provenance :
Collection [Alexandrine de Rothschild], vente anonyme, Drouot, 29 mai 1968, n° 44
Puis bibliothèque du Colonel Daniel Sickles, Trésors de la littérature française IV, Paris, 9 novembre 1990, n°1037
Puis Bibliothèque littéraire Raoul Simonson, Albert et Monique Kies, Sotheby’s – Paris, 19 juin 2013, n°80

Bibliographie :
Baudelaire, Œuvres complètes II , éd. Claude Pichois, Pléiade, p. 169-175