CASANOVA DE SEINGALT, Giacomo (1725-1798)

Lettre autographe signée « Casanova » l’abbé Eusebio della Lena
Château de Duchcov en Bohème, 11 juin 1796, 3 pp. in-4° en italien

« Ce qui me surprend et me semble difficile à croire est que ce Buonaparte est un jeune de 26 ans et corse, comme Salicetti. Deux prostitués auront conquis toute l’Italie »

VENDU
Ajouter à la sélection
Fiche descriptive

CASANOVA DE SEINGALT, Giacomo (1725-1798)

Lettre autographe signée « Casanova » à son ami l’abbé Eusebio della Lena, alors recteur au Theresianum à Vienne, institution réservée aux enfants de la noblesse.
Château de Duchcov en Bohème, 11 juin 1796, 3 pp. in-4° en italien, cachet de cire noire et adresse autographe sur la 4ème page.
Bris de cachet avec habile réparation (ancienne) du manque. Traces de pliures d’époque.

Remarquable lettre demeurée inédite
Outre les intérêts littéraires qu’elle révèle sur l’aventurier vénitien,
ce dernier se livre à des commentaires résolument anti-français, et plus particulièrement sur la présence du jeune Napoléon Bonaparte, alors en pleine campagne d’Italie, comparé à un « prostitué » envahisseur de la péninsule


[Texte original en italien]

« Aggradi oltro i suoi saluti il mio signor conte ch’e ancora qui, dicendo sempre da un mese in qua che partira domani per Vienna. Ma partir de[v]e: A due poste di corti ha quaranta cavalli che lo aspettano. Ella ricevera i due libri, Li ho raccomandati al cameriere, e son sicuro che li portera al suo alloggio. Cosi non direi se li avessi raccomandati al conte che non avendo mai l’anima dove ha il corpo non puo ricordarsi di nulla […] Non lice che il giglio in quel terreno abbia radice […] Roma christiana non fu mai tanto maltratta da At[t]ila, e da altri barbari come lo fu da cristiani, ma ora questi atei avrebbero gettato a terra Christo in sacramento per forgli un tabernacolo d’argento. Avvrebbero portato via non solo statue, ma tutti i musei: avrebbero spogliato gli altari come fecevo in Anversa, ed avvrebbero forse condotto il papa in trionfo a Parigi, o lo avvrebbero Dio sa in che guisa obbrobrisamente disonorato […] Cio che mi sorprende e che non mi sembre vero, a che quel Buonaparte e un giovine di 26 anni, come il Salicetti ambi Corsi. Due bardasse avranno conquistata tutta l’Italia […] Casanova »

[Traduction]

« Acceptez les salutations de mon maître, le compte [de Waldstein], qui est encore ici tout en disant tous les jours depuis un mois qu’il partira demain pour Vienne. Mais il lui faudra bien partir : à deux relais d’ici il a quarante cavaliers qui l’attendent. Vous recevrez deux livres. Je les ai confiés au valet de chambre et suis assuré qu’il les apportera à votre logis. Ainsi je n’ai pas eu à les recommander au comte qui n’a jamais l’âme où il a le corps et qui ne peut se souvenir de rien […] Nous ne permettons pas au lys de prendre racine en n’importe quelle terre […] La Rome chrétienne ne fut jamais aussi maltraitée par Attila et par les autres barbares qu’elle le fut par les chrétiens ; mais aujourd’hui ces athées auraient jeté à terre le Christ en sacrement pour s’emparer d’un tabernacle d’argent. Ils auraient emporté non seulement les statues mais tous les musées ; ils auraient dépouillé les autels comme ils firent à Anvers et auraient peut-être conduit le pape en triomphe à Paris ou l’auraient, Dieu sait de quelle manière, ignominieusement déshonoré […] Ce qui me surprend et me semble difficile à croire est que ce Buonaparte est un jeune de 26 ans et corse, comme Salicetti. Deux prostitués auront conquis toute l’Italie […] Casanova »


L’amitié entre les deux hommes remonte au moins à l’année 1783, à Venise, où della Lena, lui-même bibliophile, partageait aussi avec Casanova la passion du jeu.
Trois lettres de Casanova adressées à della Lena (outre celle-ci) sont publiées dans le Carteggi de Pompeo Molmenti, édité en 1916.

Au moment où cette missive est écrite, la Campagne d’Italie n’est qu’à ses débuts (elle commence le 24 mars 1796). L’offensive n’en est pas moins foudroyante pour autant : les batailles de Montenotte, Millesimo, Dego, Mondovi et du pont de Lodi, entre autres, sont toutes remportées par les armées du jeune général.

Christophe Salicetti (1757-1809) est un homme politique français. En janvier 1796, il est nommé commissaire à l’armée d’Italie, où il joue un rôle auprès de Napoléon Bonaparte.
Il contribue, en octobre 1797, à la reconquête de la Corse et à la réorganisation des deux départements qui divisent l’île.
Napoléon dira de lui : « Saliceti, les jours de danger, valait cent mille hommes ! »

Les lettres de Casanova sont d’une insigne rareté. Celle-ci, dans laquelle l’aventurier se livre sans retenue sur son sentiment anti-bonapartiste, n’en est que plus précieuse