CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)
Lettre autographe signée « LFCéline » à ses amis Descaves
Copenhague, le 7 juillet [1947], (c/o Mikkelsen), 2 pages in-folio
« La France ne mérite pas ses écrivains »
Fiche descriptive
CÉLINE, Louis-Ferdinand (1894-1961)
Lettre autographe signée « LFCéline » à ses amis Descaves
Copenhague, le 7 juillet [1947], (c/o Mikkelsen), 2 pages in-folio
Traces de pliures
« La France ne mérite pas ses écrivains »
Très belle lettre de Céline revenant avec désespoir sur ses dix-huit mois de prison et évoquant son travail sur Guignol’s Band II et Féérie pour une autre fois
« Chers amis, Voici bien longtemps que nous sommes demeurés sans nouvelles. De notre côté une légère amélioration au point de vue légal grâce à la visite que Mikkelsen a faite à Paris à Naud et à d’autres amis. La Butte a donné à fond ! s’est donné à fond en ma faveur. L’impression a été admirable ! Je ne suis plus le damné total, la pourriture absolue. On commence à se rendre compte que l’on m’a bien martyrisé injustement alors que tant d’autres… s’en tirent glorieusement et fructueusement. Lucette heureusement a repris forme et santé. Je ne suis pas brillant. Je traîne. J’ai refait de la pellagre et une crise de rhumatisme abominable en dépit de la chaleur. La cellule, les hivers en cellule m’ont crevé. Je n’ai pas tenu la réclusion. J’ai des faiblesses, je perds connaissance pour un oui, un non. Enfin on me promet un régime moins tracassier, bien amélioré. Il n’est malheureusement pas question de rentrer en France, et je souffre beaucoup de l’exil. De plus, on m’a enlevé tous mes pauvres moyens d’existence, médecine, livres… alors que Montherlant, Chadourne, Claudel, Romains… Je crains que l’Humanité ne revienne en France qu’avec la bombe atomique. Alors quelles réconciliations, quelles pleurnicheries ! Le maître nous prépare t- il autre chose ? un livre ? une pièce ? Je me suis malgré tout remis au labeur mais on m’a brulé Guignol’s Band II ! Je suis sur Féérie pour une autre fois, premier chapitre, le bombardement de Montmartre. Fait par les Français ! Je le ferai paraître en Suisse et en Amérique. Qu’ils se gorgent d’Aragon, de Cassou, et de Triolet, et de traductions de Miller sous-Céline ! puisque c’est leur goût ! La France ne mérite pas ses écrivains. Son âme déambule jamais entre Félix Potin et la Samaritaine. LF. Céline. Toutes mes bonnes amitiés à Max et Pierre ! et au petit Mozart Descaves »
Céline publie des pamphlets virulents dès 1937 (année de la parution de Bagatelles pour un Massacre). Il est sous l’occupation proche des milieux collaborationnistes et du service de sécurité nazi. Quelques jours après le débarquement allié, le 6 juin 1944, Céline quitte la France avec son épouse quelques jours plus tard pour se rendre à Baden-Baden car il craint pour sa vie. S’ensuivent des pérégrinations en Allemagne avant qu’il ne rejoigne, en octobre 1944, le gouvernement en exil du Régime de Vichy à Sigmaringen (épisode de sa vie qui lui inspirera le roman D’un château l’autre, paru en 1957).
C’est en mars 1945 qu’il obtient son visa pour se rendre au Danemark, alors encore occupé par les allemands. Il y est arrêté en décembre de la même année, suite à la libération, et passe un an et demi en prison.
Lettre inédite à la corresponance de la Pléiade