ÉLUARD, Paul (1895-1952)

Lettre autographe signée « Votre Eluard » à Joe Bousquet
[Arosa 4 novembre 1928], 4 pages in-4, enveloppe autographe jointe

« De jour en jour, mon corps mange ma tête. J’ai hâte de partir d’ici. Trop de nerfs, trop de cauchemars »

EUR 6.800,-
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Fiche descriptive

ÉLUARD, Paul (1895-1952)

Lettre autographe signée « Votre Eluard » à Joe Bousquet
[Arosa 4 novembre 1928], 4 pages in-4, enveloppe autographe jointe
Quelques petites rousseurs, caviardage (de la main de Bousquet ?) d’un mot

Magnifique lettre, enrichie de trois poèmes autographes, dans laquelle Eluard donne le plan de son prochain recueil, L’Amour la Poésie, dédié à Gala


« Mon bien cher ami, voici les poèmes promis. De la 2e partie (la manière noire)
Ce livre aurait 5 parties :

Premièrement
Seconde Nature
Comme une image
Défense de savoir (1)
Défense de savoir (2)

Le tout : L’AMOUR LA POÉSIE
Et dédié à Gala

Aucun poème n’a de titre. Environ 100 poèmes. Mais de jour en jour, mon corps mange ma tête. J’ai hâte de partir d’ici. Trop de nerfs, trop de cauchemars.
Peut-être, puisque vous ne m’avez pas dit si vous avez un gramophone, détestez-vous la musique. Mais soyez certain que ce que je vous aurai conseillé n’a avec celle-ci que de mauvais rapports.
Ce que vous me dites sur la lâcheté de Paulhan [le nom a été caviardé au stylo rouge, peut-être de la main de Bousquet lui-même pour ne pas de compromettre ?] ne m’étonne pas.
Nous voudrions déjà être à Carcassonne. Je vous fais adresser le Tanguy de Nelli.
Je voudrais écrire des chansons et, c’est drôle, je n’ai jamais eu si peu envie de chanter. Avez-vous fini par obtenir l’Histoire de l’Œil ? Si oui, vous dites publiquement ce que vous en pensez. Et vous êtes le seul.
Votre Eluard »

[La lettre est enrichie de trois poèmes autographes d’Eluard et annotés XXIX, XXXV et XXXVII]

XXXV Seconde nature [en haut de la première page]

Ils n’animent plus la lumière
Ils ne jouent plus avec le feu
Pendus au mépris des victoires
Et limitant tous leurs semblables
Criant l’orage à bras ouverts
Aveugles d’avoir sur la face
Tous les yeux comme des baisers
La face battue par les larmes
Ils ont capturé la peur et l’ennui
Les solitaires pour tous
Ont séduit le silence
Et lui font faire des grimaces
Dans le désert de leur présence.

XXIX Seconde nature [sur un feuillet séparé]

Toutes les larmes sans raison
Toute la nuit dans ton miroir
La vie du plancher au plafond
Tu doutes de la terre et de ta tête
Dehors tout est mortel
Pourtant tout est dehors
Tu vivras de la vie d’ici
Et de l’espace misérable
Qui répond à tes gestes
Qui placarde tes mots
Sur un mur incompréhensible

Et qui donc pense à ton visage ?

XXXVII Seconde nature [sur un feuillet séparé]

A genoux la jeunesse à genoux la colère
L’insulte saigne menaces ruines
Les caprices n’ont plus leur couronne les fous
Vivent patiemment dans le pays de tous.

Le Chemin de la mort dangereuse est barré
Par des funérailles superbes
L’épouvante est polie la misère a des charmes
Et l’amour prête à rire aux innocents obèses.

Agréments naturels éléments en musique
Virginités de boue artifices de singe
Respectable fatigue honorable laideur
Travaux délicieux où l’oubli se repaît.

La souffrance est là par hasard
Et nous sommes le sol sur quoi tout est bâti
Et nous sommes partout
Où se lèvent le ciel des autres

Partout où le refus de vivre est inutile


L’Amour la Poésie pressent la fin de la relation du poète avec Gala. Il le lui dédie comme suit :
à Gala
Ce livre sans fin

C’est également à cette époque que Gala (qui était ouvertement la maîtresse de Max Ernst) rencontre Salvador Dalí. Elle quitte Éluard pour le peintre surréaliste en 1929, année de parution du recueil.
Paul Éluard dira à Gala : « Ta chevelure glisse dans l’abîme qui justifie notre éloignement. »
Un an après, c’est en déambulant à hauteur des Galeries Lafayette que Paul Éluard et René Char font la connaissance de Maria Benz, dite Nusch. Elle deviendra l’épouse du premier et une égérie majeure du surréalisme.

Le recueil ne compte finalement que trois parties :
« Premièrement »
« Seconde Nature »
« Comme une image »
Les trois poèmes présentés ici par Eluard à Bousquet sont issus de la deuxième partie du recueil, « Seconde Nature ».

Les deux dernières parties, « Défense de savoir 1 & 2 » mentionnées par Eluard dans la lettre seront finalement regroupées en un seul recueil et titré comme tel.

Histoire de l’Œil, que Éluard évoque en fin de lettre, est un roman court de Georges Bataille. Édité clandestinement pour la première fois en 1928, sous le pseudonyme de Lord Auch, il décrit les expériences sexuelles de deux adolescents et leur perversité croissante.

Pléiade, œuvres complètes vol. 1 :
Le poème XXXVII sera titré I (p. 243)
Le poème XXIX sera titré II (p. 243 – 244)
Le poème XXXV sera titré XX (p. 253)

Annotations au crayon de Lucien Scheler.