MAUPASSANT (de), Laure (1821-1903)
Lettre autographe signée « Laure de Maupassant » [à Robert Pinchon]
Nice, 29 sep[tembre] 1901, 3 p. in-8°, liseré de deuil
« La pauvre vieille exilée retrouverait un sourire pour accueillir l’ancien hôte d’Étretat, qui apporterait tant de chers souvenirs des êtres et des choses disparus »
Fiche descriptive
MAUPASSANT (de), Laure (1821-1903)
Lettre autographe signée « Laure de Maupassant » [à Robert Pinchon]
Nice, 29 sep[tembre] 1901, 3 p. in-8°, d’une écriture très serrée et hésitante, liseré de deuil
Fente au pli central, quelques décharges d’encre
Longue lettre inédite faisant suite à son démenti sur le prétendu frère de lait de son fils Guy, publié dans Le Journal de Rouen quelques jours plus tôt
« Merci, cher monsieur, merci de tout mon cœur. Vous avez très bien fait de livrer ma lettre au public, et c’était en effet la meilleure façon d’arrêter sur toutes ces ridicules légendes. Espérons que dorénavant le Sieur Lécuyer va trouver moyen de mettre une sourdine au boniment qu’il prenait l’habitude de servir à ses auditeurs.
J’avoue que je me suis beaucoup amusée en lisant le Journal de Rouen, visiblement embarrassé à propos de la gaffe qu’il a commise en annonçant pompeusement l’installation du nouveau gardien du Square Solférino “Le frère de lait de Guy de Maupassant”. Le pauvre rédacteur a dû se montrer un peu récalcitrant, car il trouve que je démolis un peu rudement la légende que son journal a mise en circulation, et il faut suivre ma lettre d’une petite réclame en faveur de son protégé […] Que je sois délivrée des prétentions d’un intriguant, que je n’entende plus parler de lui, c’est tout ce que je désire.
Mais il est des sentiments maternels si saints, que personne ne devrait y toucher […] N’avez-vous donc jamais la pensée de venir sur le beau rivage de la Méditerranée ? N’oubliez pas, je vous en prie, que les portes de la villa Monge s’ouvriraient bien grandes pour vous recevoir et que la pauvre vieille exilée retrouverait un sourire pour accueillir l’ancien hôte d’Étretat, qui apporterait tant de chers souvenirs des êtres et des choses disparus, mais jamais oubliées […]
Laure de Maupassant […] »
L’affaire du frère de lait de Guy de Maupassant
Le 12 septembre 1901, Le Journal de Rouen publie une mésinformation affirmant qu’un certain M. Lécuyer, prétendument frère de lait de Guy de Maupassant, vient d’être nommé gardien du jardin Solférino à Rouen, à l’endroit même où fut érigé le buste de l’écrivain un an plus tôt. Je journal évoque en outre la ressemblance physique entre les deux hommes, ainsi que quelques anecdotes sur leur enfance. Robert Pinchon (1846-1925), l’un des plus proches amis de Guy, plusieurs fois invité chez ce dernier à Étretat, garda une correspondance suivi avec les parents de Guy (depuis longtemps divorcés). Il semble donc que Robert Pinchon ait transmis la mésinformation du Journal de Rouen à Madame Laure de Maupassant (née Le Poittevin), retirée depuis longtemps à Nice, qui n’a pas manqué de réagir vivement (voir article du 23 septembre infra). Cette dernière adresse aussitôt une lettre à son correspondant, démentant point par point les fausses allegations du journal, qu’il s’est manifestement contenté de colporter les dires de M. Lécuyer. On comprends alors, au travers des deux témoignages inédits que nous proposons ici, que Robert Pinchon a pris la liberté de faire publier le démenti de Madame de Maupassant et que cette dernière s’en ait réjouit.
Article paru dans Le Journal de Rouen
12 septembre 1901, p. 2, deuxième colonne :
Lien vers l’article
Article paru dans Le Journal de Rouen (avec la lettre “ouverte” de Laure de Maupassant)
23 septembre 1901, p. 2, deuxième et troisième colonnes :
Lien vers l’article
Les faits sont de nouveau évoqués dans le même journal quinze ans plus tard
4 juin 1916, p. 2, cinquième et sixième colonnes :
Lien vers l’article
Maupassant et Robert Pinchon se connurent au Lycée impérial de Rouen. Le père de ce dernier, Adolphe, y enseignait le français. Robert était dans la même classe que Louis de Poittevin, le cousin de Guy. Les deux amis se retrouvèrent plus tard à Paris. Pinchon, dit « La Tôque », faisait partie de la bande des canotiers. Il retourne à Rouen vers 1880 et devient bibliothécaire à la ville et critique musical et dramatique dans Le Nouvelliste de Rouen. Il écrit de nombreuses pièces de théâtre qu’il publie en 1894 sous le titre Théâtre. Le souvenir de son ami Maupassant est évoqué dans la préface de l’ouvrage.
Maupassant lui dédie sa nouvelle L’Aventure de Walter Schnaffs, en 1883.
On joint :
La copie autographe (de la main de Robert Pinchon, également inédite) de sa lettre à Laure de Maupassant, qui précède la réponse de cette dernière, transcrite supra
[Rouen], 23 septembre 1901, 2 p. in-8° sur papier vergé, à l’encre noire
« Madame, afin de couper court à la légende du frère de lait de Guy, je n’ai pas trouvé de meilleur moyen que de communiquer votre lettre si digne et si touchante au Journal de Rouen ; après cela il ne restera à personne ici l’idée d’ajouter foi aux prétentions du gardien L’écuyer […] C’est à l’époque de la cérémonie du monument [buste en l’hommage de Maupassant inauguré l’année précédente, en 1900] qu’il a commencé à le parer de ce titre de frère de lait […] Maintenant votre démenti parviendra à tous ceux qu’une indication erronée avaient pu tromper et vous garderez sans partage, ainsi que vous semblez si justement y tenir, le privilège d’avoir allaité votre cher fils, comme plus tard au début de sa carrière vous avez nourri son esprit et fortifié son cœur par vos excellents conseils […] »
Provenance :
Succession Robert Pinchon