MAURIAC, François (1885-1970)

Lettre autographe signée « FMauriac » à Louis Artus
[Paris], 31 oct[obre 19]20, 4 p. in-8, enveloppe autographe jointe

« Je n’ai pas eu le temps encore de guérir de ma jeunesse »

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Fiche descriptive

MAURIAC, François (1885-1970)

Lettre autographe signée « FMauriac » à Louis Artus
[Paris], 31 oct[obre 19]20, 4 p. in-8, enveloppe autographe jointe
Traces de pliures d’époque

Longue et belle lettre de Mauriac évoquant la foi, la sensualité et l’homosexualité. Elle fait suite à la critique de Louis Artus sur son dernier roman La Chair et le Sang, publié en octobre 1920.


« Si, cher monsieur et ami, vous avez eu raison de m’écrire. Pour que vous jugiez notre foi utile à ma fable et surajoutée, il faut que mon livre soit bien manqué [La chair et le Sang] : j’ai voulu montrer la grâce venant de mourir dans certains cœurs, ne remportant chez d’autres qu’une médiocre victoire – mon échec, et qui pèse sur toute l’œuvre, est de n’avoir pas su faire de Claude un saint, en qui la grâce triomphât. Quant à la sensualité éparse dans ce livre, j’avoue qu’elle m’a confondu moi-même.
Se pourrait-il, Seigneur, que ceci de moi vint ? [Citation approximative du poème Booz endormi de Victor Hugo paru dans le recueil La Légende des Siècles]

Donc je souscris à vos reproches et ne proteste – mais avec une affreuse colère – que contre ce petit mot : “…alors qu’il n’y a que deux sexes…”
Je ne vois, je vous jure, entre Edward et Claude, rien qui ressemble à ce que vous insinuez là. Je sais d’ailleurs quelle sorcière a trouvé ça dans sa marmite. Sa vertueuse indignation me déconcentrerait – mais je connais tout de même assez ce sexe là pour y attacher la moindre importance.

Tandis que votre lettre, mon cher ami, m’inquiète et m’attriste : et vous entendez que ce n’est pas ici le romancier qui parle. Quelle responsabilité redoutable que la notre ! Enfin, faites-moi crédit. Je n’ai pas eu le temps encore de guérir de ma jeunesse. Demandez-vous aussi ce qui peut représenter de luttes douloureuses, épuisantes, une si grande foi unie à ce goût charnel, à cette passion pour Cybèle. Ceux qui se convertissent après quarante ans ne savent pas ce que représente de débats tragiques, chez un artiste surtout, possédé par les couleurs, les odeurs, les formes, les êtres – la jeunesse et la foi. J’ai créé de ma chair même Claude et aussi Edward (mais j’ai bien plus que deux hommes en moi !) et voyez comme l’un et l’autre se penchent sur la mort.
Jusqu’à présent, les critiques n’ont pris ce livre au tragique et j’en remercie Dieu.
Toutes mes félicitations au jeune grand père. Veuillez les partager avec Maurice Artus à qui je vous prie d’offrir mes hommages respectueux.
Croyez-moi votre
FMauriac »


La Chair et le Sang est un roman de François Mauriac publié en octobre 1920 aux éditions Emile-Paul Frères. L’histoire est inspirée du suicide, en 1909, de Charles Demange, neveu de Maurice Barrès, l’un des maîtres littéraires de jeunesse de Mauriac. Il y revient également sur ses propres questionnements personnels et « tourments amoureux ».

Sources écrites à l’appui, la « biographie intime » de François Mauriac par Jean-Luc Barré, parue en 2009, décrit une tendance homosexuelle longtemps gardée secrète, peut-être platonique mais qui a marqué son œuvre. A partir de 1924, il éprouve une brûlante passion pour le jeune écrivain suisse Bernard Barbey.

Louis Charles Artus (1870-1960) est un écrivain et critique français. Il fréquente assidûment les milieux littéraires, collabore avec différents journaux, comme Le GauloisExcelsiorL’Intransigeant,  ou encore Le Petit Journal. Il est un proche de Marcel Proust.