MISHIMA, Yukio (1925-1970)

Lettre autographe signée « Yukio Mishima » à Dominique Aury
S.l, 28 mars 1970, 2 p. in-4 oblong, en anglais

« Mon roman peut atteindre la plus haute tension quand je sens ma bombe intérieure et la bombe extérieure comme un équilibre critique »

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Fiche descriptive

MISHIMA, Yukio (1925-1970)

Lettre autographe signée « Yukio Mishima » à Dominique Aury
S.l, 28 mars 1970, 2 p. in-4 oblong, en anglais
Traces de pliures

Troublante lettre de Mishima écrite moins d’un an avant son suicide par seppuku. Il se réjouit de la bonne réception critique de sa nouvelle Patriotisme en France et souhaite s’informer tout particulièrement de l’avis d’André Malraux. Il évoque ensuite le début de la rédaction du dernier volume de sa tétralogie romanesque La Mer de la fertilité et développe son propos sur l’équilibre explosif qu’il recherche pour s’inspirer. Il finit par une allusion au ton équivoque sur son funeste destin.


[Traduction de l’anglais]

« Chère Madame Dominique Aury
Je me réjouis d’apprendre par votre lettre que votre fils M. Philippe d’Argila prévoit de se rendre prochainement au Japon. Merci de me faire connaître son itinéraire dès que possible afin que je puisse organiser à l’avance tout ce dont il aurait besoin.
J’ai vraiment hâte de le rencontrer.
Je suis heureux de savoir que votre merveilleuse traduction de Patriotisme ait été chaleureusement reçue par vos amis. Plus particulièrement j’aimerais connaître la réaction de Monsieur André Malreaux (peut-être mal épelé) à ce sujet, et par la même occasion, si cela est possible, sa réaction à l’adaptation en film. Quant à votre projection privée, Je suis certain que les françaises doivent être trop sophistiquées et s’évanouiraient en le regardant.
Je vais maintenant commencer le dernier (quatrième) volume de mon long roman [La Mer de la fertilité]. Pour écrire, j’ai toujours besoin d’un équilibre entre le moment critique de la société et le malaise essentiel dans mon esprit, mais le présent Japon ne me semble pas propice à me faire écrire dans les circonstances actuelles, depuis que la crise sociale est probablement déjà résolue et devient trop silencieuse. Mon roman peut atteindre la plus haute tension quand je sens ma bombe intérieure et la bombe extérieure comme un équilibre critique. Je n’ai pas l’intention d’assassiner qui que ce soit, en revanche, je n’ai aucune possibilité d’être assassiné, puisque personne ne me considère digne d’être assassiné !
Passez un beau et charmant printemps à Paris,
Comme toujours
Yukio Mishima »

[Texte original]

“Dear Madame Dominique Aury
Your letter gave me a delightful news that your son M. Philippe d’Argila is coming to Japan soon. Please let me know about his itinerary as soon as possible so that I can arrange everthing
[sic] he would like beforehand.
I am really looking forwards to meeting him.
I am delighted to know your beautiful translation of “Patriotism” is well received by your friends. Particularly I would like to know about Monsieur André Malreaux’s (maybe wrong spelling) reaction to it, besides if it is possible, also about his reaction to its film version. At your private screening, I am sure French ladies must be too sophisticated to be fainted away by looking at it.
I am now going to start the last (fourth) volume of my long novel. For writing, I always need some balance between the critical moment of the society and the essential uneasiness in my mind, but the present Japan seem to me not likely in a ideal circumstances to make me write, since the social crisis is likely already solved and becoming too quiet. My novel can reach the highest tension when I feel my inner bomb and the outside bomb as a critical balance. I don’t intend to assassinate anybody, on the other hand, I have no possibility to be assassinated, since nobody considers me worthy to be assassinated!
Have a nice, bright spring-time in Paris,
As always
Yukio Mishima”


Patriotisme est une nouvelle de Yukio Mishima parue en 1961 au Japon. L’histoire raconte le suicide par seppuku (éventration à l’aide d’un sabre) d’un lieutenant japonais et de sa femme après l’échec du coup d’État fomenté par un groupe militaire nationaliste, le 26 février 1936.

Une adaptation cinématographique du même nom que l’ouvrage réalisée par l’auteur-même sort en 1965. Le film, que l’on croit être une critique du rituel sanglant du seppuku, n’est en réalité que la mise en scène prémonitoire du suicide de l’écrivain, le 25 novembre 1970, dans le quartier général des forces japonaises d’autodéfense à Tokyo.

La Mer de la fertilité est une tétralogie romanesque de Yukio Mishima, souvent présentée comme son « testament littéraire ». Les quatre romans du cycle sont écrits entre 1965 et 1970. Le 25 novembre 1970, juste après avoir mis ce manuscrit sous enveloppe au nom de l’éditeur, Mishima mène l’action d’éclat au quartier général.

Tout Mishima est résumé, concentré dans cette lettre : sa sensibilité, son esprit torturé, son égo, sa façon de rédiger ses œuvres et son regard contemporain sur la société japonaise. Écrite l’année même de son suicide, elle n’en est que plus importante et précieuse.


Les lettres de Yukio Mishima sont d’une insigne rareté