MONTIJO (de), Impératrice Eugénie (1826-1920)
Lettre autographe signée « Eugénie » à Marie-Thérèse Bartholoni
Prince’s gate SW [Londres], 26 novembre [1881], 5 p. in-8 sur papier de deuil
« La veuve de Napoléon III reste et restera près de ceux qui sont morts en exil »
Fiche descriptive
MONTIJO (de), Impératrice Eugénie (1826-1920)
Lettre autographe signée « Eugénie » à Marie-Thérèse Bartholoni
Prince’s gate SW [Londres], 26 novembre [1881], 5 p. in-8 sur papier de deuil
Numérotation d’une autre main en marge supérieure sur deux feuillets, trace de mouillure
Exceptionnelle et magnifique lettre de l’impératrice Eugénie, faisant le récit émouvant de son retour à Paris après le désastre de 1870, l’exil et les deuils – Les ombres d’un passé glorieux jalonnent le mélancolique voyage, se mêlant à l’inconsolable mémoire, à la tragédie d’un présent sans avenir
« Ma chère Madame Bartholoni,
Je vous remercie de votre lettre du 15(1). Je ne puis pas vous parler d’une date qui aujourd’hui ne peut plus que réveiller de douloureux souvenirs.
Mon passage par Paris a été pour moi triste mais il m’a procuré l’occasion de revoir quelques personnes que leur état de santé empêche de venir me voir.
J’ai aussi visité Fontainebleau(2), Les Invalides, Notre-Dame, St-Cloud et N.D. des victoires, recherchant partout la trace d’un souvenir.
J’ai passé aussi devant les Tuileries. J’ai vu les fenêtres de la chambre où mon fils est né !! et après un séjour de deux jours auprès de ma nièce de Mouchy, je suis repartie pour l’Angleterre(3).
Je n’ai voulu voir personne en dehors de ceux que j’étais venue voir et je n’ai prévenu pas même ceux-là qui ont été surpris de me voir arriver.
Le Figaro dit aujourd’hui que cédant à la nostalgie de Paris, je vais rentrer bourgeoisement dans cette ville(4). Je n’ai et ne puis avoir d’autre nostalgie que celle de cette patrie inconnue où l’on réjouit ceux qu’on a aimés. Jamais je ne consentirai à rentrer bourgeoisement là où les cendres des miens sont proscrites.
Si d’autres Princes de vieille race oublient ce qu’ils sont pour pouvoir jouir des plaisirs de Paris, je considère notre illustration trop récente pour en avoir perdu la mémoire et la dignité. La veuve de Napoléon III reste et restera près de ceux qui sont morts en exil.
Si l’auteur de l’article me connaissait, elle n’aurait jamais donné cette nouvelle, fort peu intéressante, du reste, pour tout le monde, car je dois être oubliée à présent, même dans la ville que j’ai tant habitée et tant aimée.
Mes souvenirs aux enfants et croyez à mes sentiments affectueux.
Eugénie »
A la mi-octobre 1881, ne représentant plus désormais un danger pour le régime républicain, dont l’assise s’était considérablement renforcée après la mort tragique du Prince impérial, le 1er juin 1879, l’impératrice Eugénie sollicita du Gouvernement l’autorisation de revenir à Paris. Un désir prégnant de retrouver l’empreinte de ce passé prestigieux et rayonnant, mais également les silhouettes fantomatiques des êtres et des lieux qui lui ont été chers, inspira cette démarche. Le chagrin, les émotions puissantes et violentes devaient l’y accompagner.
Filleule de Chateaubriand et dame d’honneur aux Tuileries de la princesse Julie Bonaparte, Madame Bartholoni (1833-1910) fut, par sa beauté, l’un des ornements de la Cour du Second Empire. Née Marie-Thérèse Frisell (1833-1910), elle fut l’épouse d’Anatole Bartholoni (1822-1902), qui fut député au Corps législatif de 1860 à 1869.
Madame Bartholoni tint un brillant salon, qui inspira Marcel Proust. L’écrivain le fréquenta activement dans les années 1897-1899, et fut également l’hôte du château de Coudrée, que les Bartholoni possédaient sur les bords du Lac Léman, entre Thonon et Genève. La conversation spirituelle de l’ancienne « belle de l’Empire » paraît l’avoir fortement inspiré.
Marcel Proust courtisa, un temps, une des trois filles de Madame Bartholoni, Louise dite « Kiki » (1857-1933), filleule de l’impératrice Eugénie.
[1] La Sainte Eugénie était célébrée le 15 novembre. Sous l’Empire, à l’occasion de cet évènement, de grandes réjouissances étaient organisées.
[2] L’Impératrice fit une brève visite à Fontainebleau, le mardi 25 octobre 1881. La presse s’en était fait discrètement l’écho. Le Gaulois du 28 octobre 1881 fit paraitre un bref récit de la visite d’Eugénie au château : « Sa Majesté était accompagné de M. le vicomte et de Mme la vicomtesse Aguado et de M. Rainbeaux. Les appartements lui ont été montrés par un des agents de service. Bien qu’ayant conservé son grand air de distinction et dé bonté, l’Impératrice est très changée ; ses cheveux sont entièrement blancs. Elle continue à porter des vêtements de grand deuil, comme elle n’a cessé de le faire depuis la mort de l’Empereur. L’auguste visiteuse n’a pu vaincre son émotion lorsqu’elle est arrivée à l’appartement – un des plus modestes du palais – jadis occupé par le Prince impérial ».
[3] L’impératrice quitta Boulogne-sur-Mer le mercredi 2 novembre au soir et s’embarqua sur le bateau de Folkestone (Le Gaulois du 4 novembre 1881).
[4] Le Figaro, daté du même jour (le 26 novembre 1881), publiait sous une signature énigmatique : « Etincelle », l’article suivant : « L’impératrice Eugénie aurait l’intention de venir s’établir ici en simple bourgeoise. L’impératrice a la nostalgie de notre Paris, de ce Paris qui aimait son fils ; et il lui paraît qu’on y peut pleurer moins amèrement, puisque du moins on y peut serrer la main de ses amis, en parlant du passé avec eux ».