PISSARRO, Camille (1830-1903)

Lettre autographe signée « C. Pissarro » à Noël Clément-Janin
Paris, 19 fév[rier] 1892, 1 p. et demi in-8°, avec enveloppe

« Turner, Delacroix, Corot, Courbet, Daumier, Jongkind, Manet, Degas, Monet, Renoir, Cézanne, Guillaumin, Sisley, Seurat ! Voilà notre marche. »

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Fiche descriptive

PISSARRO, Camille (1830-1903)

Lettre autographe signée « C. Pissarro » à Noël Clément-Janin
Paris, 19 fév[rier] 1892, 1 p. et demi in-8°, avec enveloppe

Merveilleuse lettre du maître en réponse à une chronique parue en marge d’une exposition de ses œuvres chez Durand-Ruel
Pissarro se livre en détail sur sa technique de peinture et termine sa lettre avec feu par une évolution chronologique des artistes auquel son mouvement artistique est rattaché


« Monsieur
Je vous suis bien reconnaissant de l’article que vous avez bien voulu consacrer à l’exposition de mes œuvres et surtout la franchise que vous me prouvez en m’écrivant la lettre accompagnant l’Estafette [journal dans lequel parut la chronique en question].
Je n’ai rien à ajouter à votre manière de comprendre mes œuvres au point de vue philosophique, cela est conforme à mes idées, de même la division des tons qui me permettent de donner plus d’intensité tout en conservant l’unité à l’ensemble en restant toujours clair et lumineux.
Cependant il s’est glissé quelques erreurs bien compréhensibles pour quelqu’un qui n’est pas tout à fait du bâtiment et surtout qui ne se trouve pas à même de connaître les secrets du métier, tout individuel de l’artiste.
Ainsi, c’est une erreur de croire que les aspérités servent à accrocher les rayons lumineux, non, vraiment c’est absolument indépendant à la lumière ; d’ailleurs le temps nivellera ces empâtements et je fais souvent mon possible de les enlever.
Je ne peint pas avec le couteau, ce serait impossible de diviser la couleur, je me sers de pinceaux de marthe fins et longs et c’est, hélas ! justement ces longs pinceaux qui occasionnent, malgré moi, ces rugosités.
Autre réflexion que je vous prie de me pardonner et qui sont d’une grande importance ; je ne comprends pas du tout votre manière de concevoir l’évolution artistique nous concernant ?… nous n’avons rien en commun avec Th. Rousseau, Harpigny, Bastien-Lepage, Roll, Binet, Raphaël Collin, non là n’est pas la marche, surtout Bastien Lepage que nous n’avons jamais pu comprendre ! Notre voix commence au grand peintre anglais Turner, Delacroix, Corot, Courbet, Daumier, Jongkind, Manet, Degas, Monet, Renoir, Cézanne, Guillaumin, Sisley, Seurat ! Voilà notre marche. 
Recevez Monsieur, mes sympathiques salutations et toute ma reconnaissance pour votre bonne volonté.
Votre dévoué
C. Pissarro. »


Pissarro envoie ici ses remerciements à son correspondant pour une chronique parue dans le journal L’Estafette, en marge d’une exposition de ses peintures chez Durand-Ruel.
Bien que l’artiste apprécie la compréhension « philosophique » de Janin pour son œuvre, et plus particulièrement sur la division des tons, il le désapprouve néanmoins avec le plus grand tact sur les aspérités qui ne permettent pas « d’accrocher les rayons lumineux ». S’en suit un remarquable développement du maître sur sa technique de peinture, comme il ne l’a que très rarement exprimée dans toute sa correspondance.
Pissarro tient ensuite à rectifier la façon dont Janin conçoit « l’évolution artistique » le concernant, ses amis et lui-même. En effet, Janin semble dans son article vouloir rattacher les impressionnistes aux peintres de l’école de Barbizon et du naturalisme. L’artiste lui objecte fermement cette appartenance, et tout particulièrement celle à Bastien-Lepage, que lui et ses confrères n’ont « jamais pu comprendre ! ».
Enfin, Pissarro termine sa lettre par une superbe liste chronologique des maîtres auxquels son courant appartient, « notre marche » dit-il.

Référence :
L’Estafette – Journal Républicain, 18 février 1892