STEVENSON, Robert Louis (1850-1894)
Lettre autographe signée « Robert Louis Stevenson » à Hubert Smith-Stainer
Edinburgh, [Pitlochry, 6 juin 1881], 3 pp. in-8°
« Deux ou trois nuits sous les étoiles… »
Fiche descriptive
STEVENSON, Robert Louis (1850-1894)
Lettre autographe signée « Robert Louis Stevenson » à Hubert Smith-Stainer
Edinburgh, [Pitlochry, 6 juin 1881], 3 pp. in-8°
Lettre accompagnée de son enveloppe timbrée et oblitérée
Longue et magnifique lettre de l’écrivain voyageur depuis ses terres natales, évoquant ses difficiles campements en Californie et dans les Cévennes
Traduction de l’anglais :
« Cher Monsieur,
J’ai reçu il y a seulement quelques jours votre longue et intéressante lettre.
Je vous donnerai un point de vue sur votre livre. J’ai depuis campé en Californie où les choses sont énormément simplifiées par l’absence de pluie mais en même temps beaucoup plus difficiles à cause des rivières asséchées. Je me rappelle de certaines difficultés pour trouver de l’eau à boire ; et me repérer avec une boussole à travers d’épais « chaparral and chemises » [broussaille caractéristique d’une partie de la Californie] ne s’avère pas toujours facile ou agréable. Mais j’étais couché avec de la fièvre et passais quelques nuits très mélancoliques quand je n’arrivais pas à fermer l’œil et ne pouvais pas dire ce que je détestais le plus du brillant des étoiles ou du cri perçant des grillons ; et cuisiner devenait tout à fait impossible. Cette fièvre fut le début d’une longue maladie dont je souffre toujours. Il faudra peut être beaucoup d’années avant que je puisse refaire du camping ; et quand bien même je retrouvais ma santé, peut-être n’en trouverais-je plus le goût… En attendant, le mot même m’est délicieux à lire ou à écrire, et je m’accroche toujours à cette émotion, je me berce d’illusions en pensant que deux ou trois nuits sous les étoiles pourraient accomplir des merveilles sur ma santé.
Mille mercis pour les bontés que vous m’avez transmises dans votre courrier, croyez, cher Monsieur, à mes sincères salutations.
Robert Louis Stevenson
P.S. Vous avez tout à fait raison. Quelqu’un qui ne se serait pas prêté à l’exercice ne peut s’imaginer l’effort nécessaire à la réalisation d’un tel périple, en solitaire, et la difficulté de se tenir à l’obligation d’écrire constamment les pages de ce satané journal [allusion à son récit Voyage avec un âne dans les Cévennes]. Quand je suis arrivé à Alais [ancien nom pour la ville d’Alès] et eus pris un bain chaud, je me suis presque évanoui en dépit du réconfort apporté par le repos. »
Texte original :
“Dear Sir,
I received only a few days ago your long and interesting letter.
I shall make it a point to see your book. I have since camped out in California, where things are mightily simplified by the absence of rain, but made more difficult by the rivers drying up. I recal some miseries after water to drink; and tracking with a compass through thick chapparal and chemise, did not always prove either easy or agreeable. But I was laid down with a fever, and passed some very melancholy nights, when I could not close an eye and could not tell whether I most disliked the glitter of the stars or the piercing cry of the crickets; and to have to cook one’s food became quite impossible. That fever was the beginning of a long illness from which I am still suffering; it may be many years ere I shall again be fit to go a-camping: and perhaps ere health returns, the taste may have departed. In the meantime, the very word is delightful to me to write or to read; and I still cling to the feeling, I fancy a delusion, that two or three nights under the stars would work marvels for my health.
With many thanks for your kindness in writing.
Believe me dear sir, very truly yours
Robert Louis Stevenson
P.S. You are very right in what you say. No one who has not tried it can know how much of a strain it is, to push such a journey through single handed, and to keep the hungry journal up to date. When I got to Alais, and had had a hot bath, I felt almost collapsed, though with all the pleasure of rest.”
En août 1879, Stevenson entame son périple vers la Californie pour rejoindre sa promise, Fanny Osbourne, contre l’avis de sa famille. Il rencontre cette artiste-peintre américaine, déjà mariée et mère de deux enfants, à Barbizon cinq ans plus tôt. C’est en attendant le divorce de Fanny que l’écrivain mène une vie de bohème sur le port de San Francisco, vivant chichement, au gré de petits emplois, sans jamais en trouver de durable.
Les longues errances de Stevenson seront à l’origine de ses fréquentes maladies et de sa santé fragile. Il frôlera la mort en mars 1880, ne devant son salut qu’à l’attention de Fanny, qui se dévoue six semaines à son chevet. Jamais il ne se débarrassera de ce mal auquel il fait référence dans la lettre « le début d’une longue maladie dont [il] souffre toujours ». Il se sait fragile, cependant l’ivresse du voyage et de l’aventure ne le quittent pas. Ainsi se berce-t-il « d’illusions en pensant que deux ou trois nuits sous les étoiles pourraient accomplir des merveilles sur [sa] santé ».
Les deux amants se marient le 19 mai 1880 et retournent en Écosse à l’été suivant. Menant une vie paisible avec son épouse sur ses terres natales, Stevenson est à l’été 1881 en pleine rédaction de l’un de ses chefs d’oeuvre : L’Île au trésor.
Dans un long post-scriptum, l’écrivain revient sur cet épisode décisif que fut pour lui l’automne 1878. Entre son amour inconditionnel pour Fanny Osbourne et les menaces de son père de lui couper les vivres s’il persiste dans cette idée d’union avec une femme déjà mariée, Robert Louis qui n’a pas 28 ans et n’est toujours pas autonome financièrement est en proie au doute. Il décide de partir s’isoler au Monastier-sur-Gazeille, en Auvergne. C’est le point de départ d’une randonnée qu’il effectue en compagnie d’une ânesse, et jusqu’à l’épuisement. Le spectre de Fanny Osbourne est omniprésent. Elle est la principale motivation de ce périple durant lequel il tient un journal publié l’année suivante sous le titre Voyage avec un âne dans les Cévennes.
Cette lettre, bien que rédigée depuis sa demeure d’Edimbourg et selon toute vraisemblance le 5 juin, fut envoyée depuis Pitlochry, à 150 km plus au nord, là où Stevenson résida du 6 juin au 2 août 1881.
Bibliographie :
Robert Louis Stevenson, éd. Richard Dury, 2012, 12:3
Provenance :
Bonhams – Londres, 19 juin 2002
Puis collection particulière