VERLAINE, Paul (1844-1896)

Poème autographe signé « Paul Verlaine »
Londres, 1873, 1 p. in-8°, sur papier vergé

« O le feu du ciel sur cette ville de la Bible ! »

EUR 25.000,-
Ajouter à la sélection
Fiche descriptive

VERLAINE, Paul (1844-1896)

Poème autographe signé « Paul Verlaine »
Londres, 1873, 1 p. in-8°, sur papier vergé
Marge droite légèrement effrangée, infimes manques au centre et aux angles supérieurs

Poème capital, évoquant la fuite chaotique et misérable à Londres avec Rimbaud
Verlaine fait une entorse au sonnet traditionnel et réalise ici son premier essai en vers de treize syllabes, qu‘il dédie à Ernest Delahaye


« Sonnet boiteux

Ah vraiment c’est triste, ah, vraiment ça finit trop mal.
Il n’est pas permis d’être à ce point infortuné.
Ah ! vraiment c’est trop la mort du naïf animal
Qui voit tout son sang couler sous son regard fané.

Londres fume et crie. O quelle ville de la Bible !
Le gaz flambe et nage et les enseignes sont vermeilles.
Et les maisons dans leur ratatinement terrible
Épouvantent comme un sénat de petites vieilles.

Tout l’affreux passé saute, piaule, miaule et glapit
Dans le brouillard rose et jaune et sale des Sohos
Avec des indeeds et des allrights et des hâos.

Non vraiment – c’est trop un martyre sans espérance,
Non vraiment – cela finit trop mal, vraiment c’est triste :
O le feu du ciel sur cette ville de la Bible !

Londres, 1873
Paul Verlaine »


Ce sonnet, doublement boiteux, tant par sa formulation que par l’emploi de vers de treize syllabes, marque pour la poésie de Verlaine une rupture avec le sonnet classique et de nouvelles perspectives métriques. La période est pour lui propice à ces nouvelles expérimentations, aux côtés de Rimbaud qui, derrière ces vers, apparaît comme une figure spectrale ; tant son influence esthétique sur Verlaine fut forte, et réciproquement. On note à deux reprises l’allusion à la ville de Sodome, cette « ville de la Bible », dont le peuple a subi la colère d’un Dieu incendiaire. L’évocation des « Sohos » par ailleurs désigne ce célèbre quartier de Londres qui, en 1872-1873, était bien connu pour ses mœurs libres et sa prostitution, où nombre de communards exilés ont vécu et que les deux poètes ont bien connu.

S’il est impossible de dater formellement ce sonnet, tout porte à croire que Verlaine le compose dans la prison de Mons, à l’automne 1873. Le poète laisse ici transparaître une grande souffrance morale, rongé par l’impureté, le blasphème et les plaisirs interdits avec son compagnon d’infortune.

On connaît à ce jour trois manuscrits de ce poème, et qui présentent plusieurs variantes. Le premier, joint à une lettre à Edmond Lepelletier d’octobre 1873, est intitulé Hiver, et clôt la série Mon Almanach pour 1874 (aujourd’hui à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet). Le deuxième, qui est une mise au net, figure dans Cellulairement, recueil composé à la prison de Mons entre octobre 1873 et janvier 1875. Notre manuscrit, le troisième, a servi pour la première publication du sonnet dans La Nouvelle Lune du 11 février 1883. Ce poème figure ensuite dans Jadis et naguère, paru chez Vanier en novembre 1884. C’est aussi à cette époque que Verlaine lui attribue son titre définitif : Sonnet boiteux. Verlaine ajoutera la dédicace « À Ernest Delahaye » au dernier moment, directement sur la coupure de La Nouvelle Lune préparée pour l’impression de Jadis et naguère (Bibliothèque littéraire Jacques Doucet).

« Nous nous contenterons de recommander à ceux qui se croient obligés d’aimer qu’on dépasse les limites permises de l’énervement et de la déliquescence de la pensée certaines pièces à cet égard très réussies, dans Jadis et naguère, et de vrais modèles du genre : Sonnet boiteux, À Albert Mérat, Langueur… » (Gabriel Sarrazin, La Revue contemporaine, janvier 1885).


Nous joignons :

Une lettre autographe signée de Verlaine à Philomène Boudin, dite Esther
Londres, [25 novembre 1893], 3 p. in-8°

Le poète écrit à sa maîtresse une tendre épître depuis Londres tout en faisant allusion à son tumultueux voyage dans la même ville vingt ans plus tôt, aux côtés d’Arthur Rimbaud, contribuant à la rupture avec sa première femme, Mathilde Mauté.

« Ne crains pas les femmes. D’ailleurs Londres m’a porté malheur il y a 20 ans sous ce rapport »
(Bibliographie : Correspondance de Paul Verlaine – Ad. Van Bever, Messein, t. II p. 307)

Bibliographie :
Œuvres poétiques complètes, éd. Y.-G. Le Dantec, révisée par J. Borel, Bibliothèque de la Pléiade, 1962, p. 323-324 ;
Jadis et naguère, édition critique établie par Olivier Bivort, Le Livre de poche classique, 2009, p. 73, 270-271

Provenance :
Collection A. Joly,
Puis collection André Lebreton (Drouot, 9 mai 1938)
Puis collection de Mme Prat