ZOLA, Émile (1840-1902)

Lettre autographe signée « Emile Zola » à Fernand Desmoulin
Médan, 8 août 1895, 2 pp. in-8°

« J’ai fini par mépriser le temps, par sortir sous les averses, ce qui fait que je rentre trempé, couvert de boue »

EUR 1.300,-
Ajouter à la sélection
Fiche descriptive

ZOLA, Émile (1840-1902)

Lettre autographe signée « Emile Zola » à Fernand Desmoulin
Médan, 8 août 1895, 2 pp. in-8°

Affectueuse lettre d’un Zola solitaire et comme toujours plongé dans la rédaction de ses romans – L’écrivain laisse ici entrevoir quelques traits intimes de sa vie monacale et sa passion pour la bicyclette


« Mon bon ami, ma femme [Alexandrine] allait vous écrire. Vous savez peut-être que les pauvres Charpentier(1) vont venir passer une semaine ici ; et nous rêvions de vous avoir en même temps. Mais, puisque vous nous revenez en septembre, ce n’est que partie remise(2). Nous comptons absolument sur vous.
Je n’ai pas revu Charpentier, car je suis cloué ici par le travail [Zola était alors en pleine rédaction de Rome, deuxième volume de son cycle romanesque Les Trois Villes]. Ma femme l’a revu, ainsi que madame Charpentier, avant qu’il partent pour Houlgate(3) ; et elle a été navrée du deuil de ces pauvres amis. Comme vous le dites très bien, leur douleur a dû grandir, dans le repos et dans la réflexion(4). Tout cela est affreux.
Ici, nous n’allons pas trop mal tous les deux, très solitaires comme toujours, et en attendant que l’été se passe. Le temps, d’ailleurs, est affreux. Moi, je fais beaucoup de bicyclette ; et, comme vous, j’y trouve une grande distraction(5). J’ai fini par mépriser le temps, par sortir sous les averses, ce qui fait que je rentre trempé, couvert de boue. N’importe, ça me fait grand bien. Je vous attends pour que vous m’entraîniez. Je veux tenter avec vous quelques longues course(6).
Et voilà, mon bon ami. Ne broyez pas trop de noir dans les tristes circonstances où vous vous trouvez. Portez-vous le mieux possible, et à bientôt, le ménage vous attend.
Bien affectueusement à vous de notre part à tous les deux.
Émile Zola »


1- Le couple Charpentier venait de perdre Paul, leur troisième enfant, disparu brutalement à l’age de 20 ans.
2- Desmoulin, qui était veuf depuis le 5 juin 1894, était en villégiature à Châtillon-en-Bazois (Nièvre) ; il était venu à Paris pour l’enterrement de Paul Charpentier. Le 3 août, il avait écrit à Zola : « L’autre jour, au cimetière, je vous ai cherché vainement, […] je n’ai pas pu vous dire au revoir, car je repartais le lendemain pour Châtillon où je suis encore, tout seul, et pas joyeux, je vous en réponds […] Je rentrerai au mois de septembre, et vous ? » En fait, Zola le rencontrera à Paris le 28 août.
3- La famille Fasquelle passait le mois d’août à Houlgate.
4- « J’ai reçu plusieurs fois des nouvelles des Charpentier » poursuivait Desmoulin dans la lettre précitée. « Je crois que le moment présent est encore plus cruel pour eux que les heures de lutte, pendant lesquelles une lueur, bien faible, mais enfin une lueur d’espoir restait encore […] C’est une succession de tristesses qui me fait passer d’étranges vacances »
5- Sa bicyclette, écrivait Desmoulin, était sa « chère consolatrice »
6- Zola faisait déjà de longues promenades. Le 31 août, son épouse écrit à Élina Laborde : « Il s’est fait cadeau d’un vélodromètre, et il a pu constater qu’en partant de la maison rue de Bruxelles, à ici, chez nous, en passant par Saint-Germain, il y a 34 kilomètres ». Passionné de photographie, Zola s’est souvent mis en scène avec sa bicyclette dans les dernières années de sa vie.

“Éditeur des naturalistes”, comme il se nommait lui-même, Georges Charpentier (1846-1905) était un proche de Flaubert, Maupassant et Zola. Il a promu les peintres impressionnistes et a constitué avec sa femme, Marguerite, une importante collection d’art.

Peintre et graveur français, Fernand Desmoulin (1853-1914) était collaborateur à La Vie moderne. Il y fit la connaissance de Georges Charpentier avec qui il se lia d’amitié puis, à partir de 1887, celle d’Émile Zola.

Bibliographie :
Œuvres complètes, t. XIV, éd. Henri Mitterrand, Nouveau Monde, p. 1489 – 1490
Correspondance, t. VIII, éd. du CNRS, Les Presses de l’université de Montréal, p. 245, n°232

Provenance :
Ancienne collection du docteur François-Jacques Émile Zola