MONTIJO (de), Impératrice Eugénie (1826-1920)
Lettre autographe signée « Eugénie » à Marie-Thérèse Bartholoni
Camden Place, Chislehurst [janvier 1873], 8 p. in-8°, papier de deuil
« Oui mon cœur se déchire et ma raison se révolte contre de telles infamies, mais la haine ne désarme même pas devant une tombe ! »
Fiche descriptive
MONTIJO (de), Impératrice Eugénie (1826-1920)
Lettre autographe signée « Eugénie » à Marie-Thérèse Bartholoni
Camden Place, Chislehurst [janvier 1873], 8 p. in-8°, papier de deuil
Traces de pliures d’époque, annotations « 1 » et « 2 » d’une autre main, petit manque marginal sur le dernier feuillet (sans atteinte au texte)
Longue et bouleversante lettre de l’impératrice, écrite seulement quelques jours après la mort Napoléon III
Dévastée par la douleur, Eugénie n’en reste pas moins pleine de rancœur à l’égard de ceux ayant ostensiblement tourné le dos à l’empereur depuis la défaite de Sedan
« Ma chère Madame Bartholoni,
Vous avez passé près de nous les derniers jours de l’année.
Je les croyais bien tristes, mais aujourd’hui après notre affreux malheur, je vois qu’ils étaient heureux ! Vous souvenez-vous ? combien nous avions de l’espoir ! Mais Dieu n’a pas voulu m’épargner cette dernière douleur.
Je ne sais encore si j’ai la force de la lui offrir car je sens quelque fois mon cœur plein de révolte. Le calme viendra avec la résignation ; je la demande de tout cœur.
Monsieur Bartholoni vous aura dit mon émotion en le voyant parmi les fidèles qui ont voulu rendre un dernier hommage à mon bien cher Empereur.
J’ai bien pensé que ce coup si imprévu avait altéré votre santé. Soignez-vous bien car plus que jamais nous avons besoin de nos amis.
La mort si rapide de l’Empereur a, pour ainsi dire, réveillé la conscience publique car il a fallu qu’il mourut pour qu’on pût mesurer les souffrances morales et physiques qui ont déchiré son cœur, avant de l’arracher à notre tendresse. Que doivent se dire ceux qui ont insulté un malheur si dignement supporté.
La croix que j’ai attachée le 15 août sur la poitrine de M. Bayard doit lui brûler le cœur, s’il lui reste une conscience.
Les médecins anglais, après avoir constaté sa maladie, n’ont eu tous deux qu’un seul cri : « cet homme est plus qu’un héros pour avoir supporté de telles douleurs cinq heures à cheval ! ».
Oui mon cœur se déchire et ma raison se révolte contre de telles infamies, mais la haine ne désarme même pas devant une tombe !
Je vous dis adieu car cela me fait mal de penser à un passé si douloureux et à un présent si désolé !
Nos souvenirs aux enfants et croyez à tous mes sentiments affectueux.
Eugénie »
Le 9 janvier 1873, à 10h45, Napoléon III meurt à l’âge de soixante-quatre ans, dans sa résidence de Camden Place. Près de soixante mille personnes, dont un dixième de Français comprenant une délégation d’ouvriers conduite par Jules Amigues, viennent se recueillir devant le corps et participent à l’inhumation, le 15 janvier 1873, à Chislehurst. Par la suite, l’impératrice Eugénie lui fait édifier un mausolée à l’abbaye Saint-Michel, qu’elle a fondée en 1881. A ce jour, le couple y repose aux côtés de leur fils unique, le prince impérial Louis-Napoléon, tué à l’âge de vingt-trois ans lors de la guerre anglo-zouloue.
Filleule de Chateaubriand et dame d’honneur aux Tuileries de la princesse Julie Bonaparte, Madame Bartholoni (1833-1910) fut, par sa beauté, particulièrement remarquée à la Cour du Second Empire. Née Marie-Thérèse Frisell, elle fut l’épouse d’Anatole Bartholoni (1822-1902), député au Corps législatif de 1860 à 1869.
Madame Bartholoni tint un brillant salon, qui inspira Marcel Proust. L’écrivain le fréquenta activement au cours des années 1897-1899, et fut également l’hôte du château de Coudrée, que les Bartholoni possédaient sur les bords du Lac Léman, entre Thonon-les-Bains et Genève. La conversation spirituelle de l’ancienne « belle de l’Empire » paraît l’avoir fortement inspiré.
Marcel Proust courtisa, un temps, une des trois filles de Madame Bartholoni, Louise dite « Kiki » (1857-1933), filleule de l’impératrice Eugénie.
Lettre inédite