NIMIER, Roger (1925-1962)
Lettre autographe signée « Roger N. » à Jacques Chardonne
Las Palmas de Grande Canarie, début novembre 1954, 11 p. in-8°
« Read, as I did, the Memoirs of General de Gaulle. It begins like Proust, with the Duchess of Guermantes… »
Fact sheet
NIMIER, Roger (1925-1962)
Lettre autographe signée « Roger N. » à Jacques Chardonne
[Las Palmas de Grande Canaria, early November 1954], 11 p. in-8°, in blue ink
Hotel Santa Catalina’s letterhead
Pinhole on top left corner of each bi-folio, some tiny stains and ink smudges
Each page numbered by Nimier
A very long and richly detailed letter, entirely unpublished, addressed to Chardonne — often free in tone and rambling — adorned with an original drawing on the first page
Between his work in literary criticism, his correspondent’s books, and publishing strategies, Nimier paints a broad panorama of the Parisian literary scene in the post-war period
« Mon cher ami,
C’est le contraire. Vous devez écrire. Peut-être même une troisième œuvre, puisque vous en avez écrite deux, qui ont été très bien comprises par la critique, comme le dit ce Petit. Pour les lecteurs, c’est autre chose. Nom très connu, lectrices et lecteurs qui vous adorent, place à l’écart, un élève qui n’est pas dans les rangs. C’est nuisible aux yeux des manuels. Cela changera quand on saura que tant d’écrivains vont vous voir, vous écrivent, que vous comptez pour eux ! […] Je ne pense pas que [Alfred] Fabre-Luce (il n’est pas sot) soit un jeune homme de qualité. Les grâces qu’il fait aux femmes l’ont perdu.
Cette collection serait amusante, peut-être, si nous en parlions. Elle dépend aussi de ce que veut faire Grasset. Le ‘thème’ serait je pense : livres à part, sujets qui ne sont pas traités en général. Types de livres : La Petite infante de Castille [Henry de Montherlant, 1929], La Mort d’une mère [Roger Peyrefitte, 1950], Les Lettres à RN [Jacques Chardonne et Roger Nimier, 1854].
Inconvénient : tant d’auteurs en contrat ailleurs (je pense aux femmes que je connais par exemple, la Sagan, la [Françoise] Mallet[-Joris], la [Béatrix] Beck, Louise de Vilmorin).
De Gaulle nous donnerait-il un récit érotique ? Paulhan des vers (pompiers, j’espère) ? Grasset, les Mémoires d’un fou [allusion au roman de jeunesse de Flaubert] ?
Tout est là.
Avantage : Tout ce qui vient de Grasset a bon air, est bien imprimé, envoyé où il faut. Hachette ne gâchera peut-être rien. D’ailleurs, si cette collection se faisait, j’en parlerai éventuellement à Guy Schoeller que je vois tous les deux jours.
Ne craignez rien : je referai mes livres avant de rien publier. Cela prendra bien dix ans. La critique littéraire, oui, c’est permis. Pour le livre, attendre un équilibre que je ne lui trouverai sans doute jamais. Le malheur, c’est de ne pas y avoir bien travaillé voici deux ans. Je connaissais bien la littérature moderne : dix ans de lecture, trois ou quatre mille livres lus, l’histoire de l’époque, je la connaissais un peu. Maintenant je ne m’amuse pus beaucoup. Il faudrait m’héberger deux ans à Las Palmas, avec une grande bibliothèque. Et puis je suis devenu paresseux, marié, toute sortes de choses. D’ailleurs je pourrais publier les études les plus sérieuses, s’il y a trois moqueries ensuite, ce sont les moqueries qu’on retiendra. De cela, il serait bien sot de se plaindre. Quand j’étais élève de troisième, je m’affligeais de mon sérieux. À présent encore.
Chardonne, romancier du couple et des sentiments en taffetas anglais ; Mauriac ou le feu doux des Landes, Montherlant tauromachie et panache – les critiques donnent des panneaux indicateurs qui nous paraissent inutiles et qui ne sont pas injustes.
Gide et Mauriac auront mieux réussi leur gloire que leur œuvre. C’est une sottise, même pour eux.
Il y aurait une bonne page d’ART pour le prix Nobel. Dites-le à [André] Parinaud de ma part, si vous avez l’occasion de lui écrire Mauriac valait mieux. Le prix Nobel, ce n’est pas inintéressant : c’est l’opinion que se font de la littérature quelques braves gens réunis dans un pays froid et qui se préoccupent, naturellement, de ce que disent les journaux du monde entier. Mais un vieil avocat d’ici, Canarien, était indiqué et d’Hemingway et de Churchill. Il aurait voulu Claudel. Cela me semble juste. Dans le genre, Claudel, Jules Romains, ce serait bien.
Un pianiste joue, dans le bar de cet hôtel, un air de Charles Trenet que vous aimez bien. Je crois que le titre est : ‘L’Âme des poètes’ et les paroles : ‘Si Charles du Bos revenait sur la terre – Il ne retournerait pas au Lutetia prendre un petit déjeuner – mais prendrait une légère choucroute chez Maxim’s comme tout le monde’. Je ne suis pas certain des paroles [ces paroles ne correspondent pas à la susdite chanson de Trenet].
En Espagne, ici, et Amérique du sud, les amateurs de la France se disent voltairiens, les plus frustres : amateurs de Victor Hugo. C’est que nous ne comprenons pas et que Bernanos avait compris. Pour nous, voltairiens, hugolistes, nous le sommes comme nous respirons. Ce sont presque des verrues. Malheur, le malheur des français est le suivant : des défauts assez amusants et visibles ; des qualités secrètes. Peuple appréciable, quoiqu’on puisse en penser. Ce que nous pensons avoir de mieux comme nationalité. […]
J’espère que vous vous êtes bien conduit à la Télévision [Chardonne était passé dans l’émission Lecture pour tous de Pierre Dumayet, du jeudi 28 octobre 1854]. Des écrans trop petits vous rendent malaisé à comprendre. Dans dix ans, ce sera amusant. Les spectateurs verront leurs auteurs, leurs politiques. Le pittoresque paiera plus que jamais. Peut-être aussi les beaux jardins, qu’on projettera en couleurs.
J’ai fumé quelques beaux cigares à Madrid, en pensant à vous. Ami de la vulgarité et de l’excès, ceux que j’achetais mesuraient vingt centimètres de long. C’est trop pour les climats chauds. Avouez que les cigarettes, sitôt allumées, n’ont peu d’intérêt. Ce sont les belles d’une seconde.
Autre chose, écrivez à Paul Morand qu’il devrait republier la Chouette [Hélène Morand, née Chrissoveloni, princesse Soutzo], épouser une fille Dupont de Nemours (cela se trouve), venir s’amuser à Paris. Cela lui changerait le caractère. Il a un petit neveu – provenant de la chouette – aussi sot que pédéraste. Une vingtaine d’année et une tête ronde.
Lisez, comme je l’ai fait, les Mémoires du Général de Gaulle. Cela commence comme Proust, par la duchesse de Guermantes, Geneviève de Brabant, und so weiter [et ainsi de suite]
Votre Roger N. »
The year 1954 marked a turning point for the leader of the Hussards. On the advice of Chardonne, who considered his output of five books in five years too rapid, Nimier decided not to publish any novels, devoting himself almost entirely to literary criticism, particularly in the journal Opéra, which he directed. His novelistic abstinence would last until his premature death in 1962. Eight of his works were published posthumously.
Having become like a virtual father and son, Nimier found in Chardonne a literary mentor, while the latter, in turn, was infused with a final burst of energy and countless encouragements to publish. Their abundant correspondence reveals an unexpected, lucid, and at times fierce intellectual alliance
This letter can be dated with near certainty to the end of October or the beginning of November 1954. It would fall between letters 116 and 117 of the Correspondence (ed. Marc Dambre, Gallimard, 1984). The many topics addressed in continuity with the previous letter leave little room for doubt
Provenance:
Private collection