PROUDHON, Pierre-Joseph (1809-1865)
Autograph letter signed « P.-J. Proudhon » to Gustave Chaudey
Passy, September 11, 1863, 3 p. in-8°
« I no longer have any confidence in the present generation; I work without hope for the satisfaction of my conscience »
Fact sheet
PROUDHON, Pierre-Joseph (1809-1865)
Autograph letter signed « P.-J. Proudhon » to Gustave Chaudey
Passy [Paris], September 11, 1863, 3 p. in-8° on laid paper, black ink
Repairs with missing bits on seven words (see scans), folds reinforced
In a long letter to his lawyer and confidant, Proudhon evokes his friend Gustave Courbet, his work in progress, then ends his missive with introspective reflections while vituperating against his era
« Mon cher ami,
Je ne suis point allé en Franche-Comté, malgré la bonne envie que j’en avais ; j’ai travaillé.
Le jour même où je comptais partir, j’ai fait mon compte ; et j’ai trouvé que je ne pouvais pas donner au repos plus de huit à dix jours ; que ces huit à dix jours me coûteraient au moins 200 fr. ; que ces 200 fr., je ne pouvais les distraire de mon budget ; qu’en outre, je ne pouvais rien faire à Besançon de ce qui m’y appelle principalement, la personne avec qui je dois m’entendre n’y étant pas ; qu’enfin, à part la visite à faire au docteur Maguet, que j’ai vu en dernier lieu à Paris, le séjour dans mon pays natal serait pour moi une source de désagréments et d’amères réflexions. De tout quoi il est résulté que je ne suis pas parti, et que j’ai continué à porter mon bât comme un pauvre âne que je suis, que j’ai toujours été, et que je serai toujours.
Je compte aller vous voir mardi prochain 14, ou mercredi 15, selon l’état de mon travail, que je tien à avancer le plus que je puis.
L’affaire Courbet est pour moi très fâcheuse : non que je regrette ce travail, qui m’a beaucoup instruit ; mais parce qu’il s’est étendu plus que je ne m’y attendais, et que j’aurais pu sans aucun inconvénient l’ajourner. Il est certain que ce travail formera un volume de plus de 200 pages [Du principe de l’art et de sa destination sociale, published posthumously in 1865]. Je touche à la fin : mais il ne sera en état d’être imprimé qu’après une révision que je ne ferai qu’après avoir terminé une brochure électorale.
J’ai lu l’ouvrage de notre ami Élias, j’ose dire que c’est d’un bout à l’autre un affreux paradoxe polonais. Je viens de lire aussi une histoire de la Pologne, en 2 volumes, par M. Chevé : un autre paradoxe polonais, à la façon du P. Loriquet. Élias s’est laissé surprendre par ses idées fédéralistes et ses préventions anti-moscovites ; Chevé a été entraîné par son zèle catholique. Ainsi les Polonais usent de toutes les idées pour se faire des recrues : ils ont des partisans parmi les démocrates, parmi les royalistes, les fédéralistes, les jacobins unitaires, les catholiques, les socialistes, etc. ; et voilà comme on écrit de nos jours l’histoire, non pas l’histoire ancienne, mais l’histoire contemporaine.
On voit que la campagne influe sur vous. Votre esprit est frais, votre cœur calme ; vous espérez comme au plus beau temps de votre jeunesse. – Moi, je n’ai plus de confiance à la génération actuelle ; je travaille sans espérance pour la satisfaction de ma conscience, et pour la dignité de ma cause. Je me sens la tête de plus en plus épuisée ; et je songe toujours à quitter la politique et même le métier d’écrivain, si je trouve à me caser quelque part. Sous ce rapport, mon travail sur l’art pourra me servir en m’engageant dans la carrière purement littéraire, où plusieurs personnes m’assurent que j’y obtiendrai du succès.
Cette tristesse ne m’aveugle pas sur mon propre mérite. Je reconnais volontiers que ma triste fortune est un peu de mon fait ; que j’ai gaspillé un joli capital de talent et d’intelligence ; que j’ai eu trop peu de soin de mes intérêts ; que j’ai travaillé avec emportement et précipitation, etc. Mais cela ne fait pas que mes contemporains ne soient meilleurs, et qu’une époque où des fautes comme les miennes sont si atrocement punies, tandis qu’un tas de fripons obtiennent des succès si faciles, soit une époque de progrès. Je crois que nous sommes en pleine décadence, et plus je reconnais que j’ai été dupe de mon excessive générosité, moins il me reste de confiance dans la vitalité de ma nation. Je n’ai ni foi à l’avenir, ni à aucune mission humanitaire du peuple français ; et le plus tôt que nous disparaîtrons de la scène sera le mieux pour la civilisation et le genre humain.
Bonsoir, cher ami ; à mardi ou mercredi.
Tout vôtre.
P.-J. Proudhon »
The “Courbet affair” mentioned here probably refers to the painter’s work Le Retour de la conférence. Marked by anticlericalism and the opposition that animated Courbet’s work throughout his career. Painted in Saintonge in 1863, the painting (now lost) caused a scandal at the Salon of the same year. Inspired by the same socialist ideas as his friend Proudhon, Courbet then pressed the latter to write a defense of it. What was originally intended to be a brochure of a few pages soon became a vast treatise on the social role of the artist: Du principe de l’art et de sa destination sociale. The work was published in 1865, just a few months after the death of its author. The text would be severely criticized by the pen of the young critic Émile Zola, still unknown to the general public, in his work Mes Haines.
Provenance:
Private collection
Bibliography:
Correspondance, éd. J-A Langlois, Slatkine (Genève), t. XIII, p. 145-147