SAND, George (1804-1876)
Autograph letter to Emmanuel Arago
[Nohant, 3rd January 1836], 3 p. in-4°
« Should we be angry against humanity? I used up all my indignation when I was younger. Nothing surprises me anymore, neither the bad nor the good »
Fact sheet
SAND, George (1804-1876)
Autograph letter to Emmanuel Arago
[Nohant, 3rd January 1836], 3 p. in-4°
Fold marks, broken red wax seal affecting three words
Several pinholes on second folio, five words crossed off by Sand with slight ink corrosion
A long and important letter from the novelist, affected but nevertheless confident in view of her trial for marital separation
« Bon frère, te portes-tu bien maintenant ? As-tu lu la drôle de lettre que Maurice m’a envoyée dans la tienne ? C’est tout un conte fantastique* [voir notule infra]. Je n’ai jamais vu d’enfant avoir mieux l’esprit de son âge [13 ans]. Rien au-dessus, rien au-dessous. C’est une bonne nature, lente mais sûre. Il faut que tu me fasses le plaisir de lui écrire des lettres et d’en exiger les réponses. Écris-lui sur tout ce qui te passera par la tête. Instruis-le en l’amusant. Rien ne forme le jugement et le style comme les lettres, à cet âge-là. Au nôtre, on a des affaires, hélas ! et les lettres sont rarement les épanchements du cœur ou les réflexions de l’esprit. Prends cette peine, je t’en prie. Tu les lui remettras toi-même de temps en temps, et quand ses lettres seront logiques, quelque folles qu’elles soient, approuve-les pour l’encourager. Si elles sont bêtes et désordonnées, fais-lui voir en quoi elles pèchent. Fais-toi aimer surtout ; tu me remplaces en mon absence. Je t’élis son frère aîné. Je suis forcée d’avoir avec lui une certaine gravité, qui est dans la nature même de l’affection maternelle. Tu peux te mettre plus à mon niveau, et d’ailleurs ton âge [24 ans] se rapproche du sien.
Bonsoir. Je te quitte pour retomber dans le travail jusqu’à ce que le jour se lève. Si je ne craignais de me faire de sots compliments, je te dirais bien que ma vie est héroïque de travail, à présent. Forcée de faire face à mille dépenses : procès, maison, qu’on m’a laissée vide est dévastée, dettes arriérées à moi, je bouche tous ces trous effrayants, mais je suis condamnée toute cette année à une énorme activité de plume, (je ne veux pas dire d’esprit, on s’en passera) et à beaucoup de privations. La plus grande pour moi, c’est de ne pouvoir obliger comme à l’ordinaire. Beaucoup d’ingrats (c’est le plus grand nombre des malheureux), me savent mauvais gré d’être dans la gêne. Quelques-uns m’y montrent, au contraire, un beau caractère. Un paysan est venu ces jours-ci me demander de lui prêter quelques centaines de francs. Je lui montrai l’état de mes affaires, et il vit que je ne pouvais pas. Alors, il me proposa d’aller vendre ses bestiaux pour me donner de l’argent en me disant : “Vous voyez bien que nous sommes gênés tous deux. Je le serai doublement quand j’aurai vendu mes bêtes, mais il n’y aura que moi, et une autre fois vous ferez ça pour moi”. J’eus toutes les peines du monde à l’en empêcher. En regard de cela, il faut mettre le trait d’une femme qui me doit le pain qu’elle mange, et qui, pouvant témoigner avantageusement pour moi dans mon procès, prétend ne pas [se] souvenir de fait qu’elle m’a racontés elle-même lorsqu’ils arrivèrent. Le tout, pour ne pas sembler hostile à mon adversaire [son époux Casimir Dudevant], car on ne sait qui perd ou qui gagne à ces jeux-là, dit-elle.
Faut-il se fâcher contre l’humanité ? Moi, j’ai usé toute mon indignation dans le temps que j’étais plus jeune. Rien ne m’étonne plus, ni le mal, ni le bien. Les Vénitiens ont une exclamation qu’ils placent à tout propos, quand on leur raconte les choses les plus surprenantes. Omem ! disent-ils. C’est à dire Homini, en italien [il faut traduire : “les hommes sont ainsi, pourquoi s’étonner ?”]. Quand ils ont dit cela, ils regardent en l’air et pensent à autre chose. L’eau qui coule ne les étonne ni plus ni moins que les actions humaines [memories of her stay in Venice with Alfred de Musset].
Bonsoir frère. Bonne année. Je t’embrasse. –
Je ne peux quitter mon procès. J’espérais m’échapper. Mais l’enquête arrive. Il faut que j’y assiste. Plains-moi d’être huit jours en présence de témoins dont la plupart sont bêtes ou fripons. Je suis sûre de gagner. Cela me console. Reconquérir mes enfants, mon toit paternel, mon air, je ne peux pas dire natal, mais c’est tout comme, le voisinage de mes vieux amis, mon bon silence, mes longues nuits de solitude, tous les bonheurs que j’ai ici, l’éloignement et l’oubli de ce fangeux Paris, où, hors de mes enfants, toi, et ensuite deux ou trois personnes, je n’ai pas une sympathie réelle, voilà mon but, et qui veut la fin, veut les moyens. Quand je serai en sûreté chez moi, tu viendras m’y voir. J’y compte. Adieu.
Je te prie d’aller chez Buloz prendre connaissance d’un reste d’épreuves de la première partie de Simon. Corrige-le en conscience pour la langue, mais sans chercher la grande épuration de style. Le style doit être simple et sans façon, comme le sujet. »
The marital situation between the Dudevant couple showed its first cracks when George Sand realized that everything separated her from her husband: coarse, uncultured, with such a dissimilar upbringing and whose tastes were totally different from his own. She also wants to be independent, work and manage her own property. Extra-marital affairs in each of them also contribute to the couple’s downfall. When she finally discovers that her husband’s will boils down to grudges against his wife, the separation becomes inevitable. On February 16, 1836, the civil court of La Châtre handed down its judgment and pronounced the separation of the Dudevant couple, in bed and board and in property. Casimir Dudevant had to pay Aurore a pension of 3,000 francs as stipulated in their marriage contract.
The son of a scientific icon, lawyer and republican politician, Emmanuel Aragon met George Sand, eight years his senior, in 1832 through Balzac. Their friendship lasted 44 years, until the novelist’s death in 1876. She bears him the affection of a big sister for her little brother, revealing to him all her joys, but also her most intimate sorrows, like the painful episode of her separation from Chopin, eleven years later. Their correspondence, forming a corpus of 131 letters, brings to light confidences such as are rare between a woman and a man.
*Maurice tells of an absurd dream in which Emmanuel Arago becomes a master of studies, then a mason building a balcony in the attic of the Quai Malaquais; Subsequently, Maurice found himself at Nohant with Emmanuel’s head and that of his master in his pocket.
Provenance:
Alfred Arago’s archives
Bibliography:
Correspondance, t. III, éd G. Lubin, Garnier, p. 217-219, n°1067