ARAGON, Louis (1897-1982)

Autograph letter signed « Aragon » to Max-Pol Fouchet, head of Fontaine magazine in Algiers
[N.p] Sarturday 31st May [1941], 4 p. large in-4°

« Never has poetry, French culture of which we are the unworthy custodians, been put to the test of an era such as this »

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ARAGON, Louis (1897-1982)

Autograph letter signed « Aragon » to Max-Pol Fouchet, head of Fontaine magazine in Algiers
[N.p] Sarturday 31st May [1941], 4 p. large in-4°
Paper clip mark on first folio with pinhole
“41” added on top of first page, possibly by Max-Pol Fouchet himself for his own records

One of the most important letters of the poet written under the occupation and acompagnied with a poem, a true manifesto of a poetic renewal of the Resistance


« Samedi 31 mai 41
Cher ami, je me sens terriblement en reste avec vous, bien que les lettres disent moins que les poèmes, et que j’aie essayé de vous parler de mon mieux, et sur ce qui me tient le plus à cœur par ces 4 poèmes(1) dont j’ai le sentiment qu’ils ont pris bien de la place dans le dernier Fontaine. C’est de ce dernier Fontaine, qu’il faut pourtant que je me décide à vous parler. Je l’ai tant fait ici avec tous les gens de rencontre, qu’en plus de la difficulté d’écrire les choses au lieu de les dire j’ai aussi la honte de me répéter pour la centième fois.
C’est une très grande réussite, un élargissement qu’on pouvait croire irréalisable de votre horizon. Le brillant de ce sommaire est-il une promesse de ce qui suivra, je veux le croire et tout le monde le prend ainsi. C’est le danger qu’il y a [à] de tels coups d’éclat : voilà qu’il vous faut vous maintenir à ce niveau, ne pas descendre au-dessous de vous-mêmes. Et cela à cause de la confiance croissante qui vous est faite de toutes parts, dirai-je de la mienne ? Vous voilà chargé de mission. De la mission la plus haute qui soit. Jamais la poésie, la culture française dont nous sommes les indignes dépositaires n’ont été à l’épreuve d’une époque pareille à celle-ci. Il faut pour en retrouver l’exemple remonter au Moyen Âge, et alors la France n’était pas une unité constituée, ni notre langue la cristallisation de toutes les grandes idées du monde. Les épreuves de notre pays sont celles des temps les plus noirs, mais ce qui est mis aujourd’hui est un million de fois plus précieux que ce qui risquait alors de disparaître et qui a survécu. Je ne sais si ce que je dis-là ne sonne pas disproportionné, mais que m’importe ! et la place que je crois voir assignée à une revue comme F[ontaine] à l’heure qu’il est, il se peut que ce ne soit qu’un rêve de ma part. Mais je rêve alors, et je rêve bien.
Ainsi suis-je bien fâché d’en être réduit avec vous au piètre truchement de la correspondance. Ah, si nous pouvions parler ensemble… Mais enfin, il faut se résoudre à la vie telle qu’elle est. Le certain est le désir profond que j’ai de vous aider de toutes les façons dans votre tâche, et pas seulement avec cette fausse générosité du collaborateur qui met de temps en temps un poème sous enveloppe, et allez donc. Le malheur veut que je ne sois pas riche et que je ne puisse vous offrir que de faire la retape autour de moi. Je la fais, d’ailleurs, et si vous m’envoyez encore des prospectus j’arriverai peut-être à faire mieux. J’ose à peine vous dire que par ailleurs de nombreuses et vieilles expériences, vingt-trois ans à faire des revues(2), me donnent l’illusion que le cas échéant cette expérience peut se communiquer. Mais sachez que si cela vous intéresse je suis capable de vous écrire non seulement ce que je trouve bien dans F[ontaine], mais aussi ce que je peux y trouver ou mal, ou absent, ou insuffisant. Le voulez-vous ? Dans ce dernier numéro par exemple, il faut voir toute la rudesse de mon amitié au fait que sans attendre votre réponse je vous dirai qu’à mon sens il y a un déséquilibre frappant entre la revue anthologique et les chroniques absentes, les notes insuffisantes et surtout pas assez systématiques, ne rendant pas compte du mouvement intellectuel dans l’intervalle qui sépare deux Fontaine. Vous savez que les gens, c’est un fait, vont toujours, le sommaire lu, à la fin des revues chercher cette mine de renseignements, de petits faits, de critiques, qui prolonge, amplifie le son des poèmes et des proses, les lie à la vie même de l’esprit. Il y a bien déjà tentative en ce sens chez vous. Mais tentative seulement. Voyons, il n’est pas paru que ce dont vous parlez, en deux mois. Il y a eu toutes sortes d’efforts, de pensées, d’erreurs, de démarches poétiques ou philosophiques que vous laissez filer dans l’ombre, sur lesquelles au numéro suivant il sera bien tard pour revenir. Le redoutable, si on s’en tient à la partie anthologique, si large que [ce] soit le choix des collaborateurs, c’est qu’on risque de pratiquer seulement une sélection, de prêter les mains à la création d’un milieu littéraire, peut-être distingué, mais une chapelle tout de même. Ce qu’il faut, n’est-ce pas pratiquer, grâce à l’arme réelle qu’est Fontaine, entre autres, le rassemblement de défense nationale de l’esprit, si j’ose dire, le groupement de toutes les forces susceptibles de pratiquer, suivant l’expression classique, la défense et l’illustration de la langue française ?
Oui, je vous propose de vous y aider. Mais encouragez m’y, mon ami ! et comme sans attendre je vais vous prouver que rien n’est de ma part platonique, je veux aborder une question, peut-être un peu à côté, mais qui a pour moi son importance. Je vous demande de m’aider à être le lien entre vous et d’autres, à éviter que la désirable émulation entre gens qui ont les mêmes buts dégénère en rivalité. Voyez-vous, ne vous fâchez pas, et considérez que ce que j’en dis, mon âge et l’expérience de chat échaudé de l’univers-en-bouteille surréaliste me donnent des droits de me mêler de ce qui semble ne pas me regarder. En bref, je voudrais établir la fraternité entre Fontaine et Poésie 41. La vraie fraternité. Je sais que vous ne pouvez avoir rien contre cela. Mais pour aller plus avant il faut vouloir positivement les moyens de fonder cette fraternité. Tout à fait en dehors de Pierre Seghers(3), que j’ai vu ces jours-ci, je vous envoie deux poèmes de lui que je vous demande de publier dans F[ontaine], pas seulement pour la raison déjà dite mais parce que je trouve ces poèmes magnifiques, et qu’ils seront pour F[ontaine] une aide et un ornement. Tel que je connais Seghers qui ne publie de poèmes de lui-même dans sa revue qu’autant qu’on le talonne et on l’y force, il ne vous les aurait pas envoyés, et pas par dédain ou mauvais esprit, mais par une modestie incroyable. Ce serait chic à vous de lui donner ce coup d’épaule qui lui donnerait un peu de confiance en lui, et il en a besoin. Comprenez bien que jamais je ne vous écrirais cela si je ne trouvais d’abord ces poèmes très beaux. Particulièrement le second (qui n’a pas de titre, et ce serait très bien d’écrire à Seghers pour lui en demander un).
Je vais aussi me permettre de vous rabattre un autre gibier poétique. Dans la même enveloppe (je mets à part cette lettre, et les poèmes sous une seconde enveloppe), je mets deux poèmes de Jacques d’Aymé, dont vous aurez peut-être vu la signature au dernier P[oésie] 41. C’est un grand ami à moi, et c’est moi qui avais donné ce Poème de Novembre à Seghers. À mon sens, ce que je vous envoie de lui est très supérieur à ce que P[oésie] 41 a publié. Le nom de Jacques d’Aymé hier inconnu risque très vite de briller, je pense bien faire en donnant à Fontaine la possibilité de s’associer à cette naissance d’un poète. Les Préludes que je vous envoie parleront [sic, pour plaideront ?] mieux que moi [de] la cause de ce fds [enfant ?] du Quercy, qui exprime comme pas un le grand espoir que nous portons :

Lorsque nos yeux pourront revoir
La longue naissance du monde
Il se peut que nos yeux succombent
Éblouis par tant de miroirs
Et vaincus par tant de revanches.
Peut-être que nos bras ouverts
Se casseront comme les branches
Se cassent au vent d’hiver ?


C’est cette maîtrise du langage et de la tradition d’oc qui dépassent très singulièrement ce qu’en écrivent pompeusement ceux qui ne la possèdent pas ! et je pense, je dois dire, aux
Cahiers du Sud(4)Enfin, de toutes mes forces, je voudrais que vous aimiez ces Préludes, et ce poète.
À part cela (et je dois dire que ça m’a fait encore mieux sentir comme j’étais en retard avec vous) je viens de recevoir un mot de Jean R[oire](5) (dites-lui que je l’ai reçu, que je lui fais mes amitiés ainsi qu’à Yvonne(6), pour ma femme et pour moi). Il me dit votre dessein très ambitieux, et très magnifique, de consacrer le no suivant de F[ontaine] au thème de l’Europe française, et me demande si je ne peux pas écrire très vite un article pour cela. Je dois vous dire que je trouve cette entreprise, ce thème, d’une actualité admirable, telle même qu’on craint d’être incapable de remplir un cadre pareil. Ce serait avec fierté que je vous y aiderais. Si vous le voulez, et s’il y en a le temps. Si vous me le demandez, vous, mon cher Max, je le ferai tout de suite, dans les dimensions et les délais que vous pourriez m’assigner par l’avion de retour. Je voudrais écrire de l’influence qu’au moyen-âge les poètes de France ont eu sur l’Allemagne et l’Italie particulièrement, et au-delà, la naissance des grands symboles de l’amour sur la terre de France, de la civilisation de l’amour qui précède les grandes philosophies de la lumière sur les routes de l’Europe, et qui viennent de chez nous. Le tout mêlé à quelques idées sur l’art fermé d’alors, et ses similitudes avec la poésie que nous imposent les événements d’aujourd’hui(7). Enfin, ce serait à écrire et non à raconter. Mais peut-être préférez-vous espacer mon nom dans vos sommaires ? Ne vous gênez pas pour me le dire.
Oh, il y a mille et une choses que je voudrais encore vous dire. Cette lettre est déjà interminable. Je remets cela à la fois prochaine. Et puis la poste est mal faite pour l’essentiel : je vous le dis, on ne peut l’écrire qu’en vers.
Bien amicalement
Aragon »


This letter, the first – and undoubtedly the most important – of the nine known from the poet to Max-Pol Fouchet, director of Fontaine, comments on part of his important past and future contribution to the Algerian review, then gives an account of his expectations, both ideological and editorial. In an excess of optimism, no doubt, Aragon wants to be part of the review, but its illusions will be seriously enamelled from the second half of the same year. This quarrel between the poet and his correspondent will become definitive a few months later. It can be explained, in part, by the emergence of phenomena of competition between literary magazines (Fontaine and Poésie 41) and Louis Aragon’s fear of seeing the poetic field hostile to the Vichy regime fragment.

A writing of resistance
The conflict of 1939-1945 marked a decisive turning point in Aragon’s writing. Indeed, his poetic writing takes the forms of a patriotic commitment. Whether it is the poems composed during the “phony war” and collected in 1941 in “Le Crève-cœur”, or others written during the Nazi occupation and assembled in 1944 in “La Diane française”, the poet denounces in both cases the conflict and testifies to a deeply marked lyricism, stemming as much from the suffering of being separated from his wife as from the horrors of war.
He never ceased to denounce Nazi crimes and encourage the French to unite around a common goal: resistance.

1- “Le poème interrupted”, “Zone libre”, “Richard II quarante” and “Elsa je t’aime” were pre-published in the magazine Fontaine, no. 13 (March 1941, pp. 220-225). Shortly after, they were reprinted, in a different order, in Le Crève-Cœur, which was completed on April 25, 1941.

2- That is to say, in 1918, the year in which Aragon signed his first texts in Nord-Sud and in S.I.C. Undeniably since then he has not only given many periodicals a constantly abundant and diversified collaboration, but he has “made” magazines, in the sense that he conceived, animated, realized.

3- At the end of September 1940, staying with Joë Bousquet in Carcassonne, Aragon receives the visit of the poet Pierre Seghers, ten years his junior, who becomes his devoted and close friend. Until then director of Poètes casqués, where Aragon published, in the April issue, “La Rime en 40”, Pierre Seghers founded a new magazine, Poésie, to which Aragon made a regular contribution, alongside the magazine Fontaine.

4- The Cahiers du Sud were born in 1925, from the redesign of the literary magazine Fortunio which had been created in 1913 in Marseille around Marcel Pagnol, then Jean Ballard. André Gaillard, close to the Surrealists, is the architect of this transformation. In the 30s, the magazine Chantiers de Carcassonne, led by Joë Bousquet, forged close links with Les Cahiers du Sud. While Aragon expresses reservations about this review, Joë Bousquet has been a regular contributor since 1928-29. In 1942, he wrote an article on Fontaine and Les Cahiers du Rhône.

5- Jean Roire had befriended before the war Aragon, whom he had met in the French Communist Party. From 1936 to September 1939, he worked at Regards, an illustrated weekly, as an editorial secretary, with Pierre Unik. Reading in the window of an Algerian bookseller the editorial of No. 10 (July-August 1940), “We are not defeated”, and immediately seduced by the tone, he then introduced himself to Max-Pol Fouchet who immediately hired him as administrator of the magazine Fontaine.

6- Yvonne Génova, professor of philosophy and contributor to the journal Fontaine for the critical part, was the companion of Jean Roire. It had been abruptly revoked, without pay, by the Vichy government in September 1940.

7- This passage in what precise intentions and circumstances Aragon undertakes to write “The lesson of Ribérac or French Europe” whose publication in June 41, in the number 14 of Fontaine in Algiers, increases the influence of the journal by its impact in France.

Provenance:
Archives Max-Pol Fouchet

Exhibition:
Le monde de Max-Pol Fouchet, Vichy 1976, N°380

Reference:
Recherches croisées N°8 – Aragon Elsa Triolet, éd. Augustin Guillot et Nathalie Limat-Letellier (2002), Presses universitaires de Strasbourg, p. 215-220
Les commentaires de cette notice sont tirés de l’ouvrage