VALLÈS, Jules (1832-1885)
Autograph letter signed « J.V. » to Aurélien Scholl
[Londres], 29 8bre [October] [18]77, 6 pp. in-8°
« I am thinking of letting my political hopes lie dormant, and returning to my profession »
Fact sheet
VALLÈS, Jules (1832-1885)
Autograph letter signed « J.V. » to Aurélien Scholl
[Londres], 29 8bre [October] [18]77, 6 pp. in-8° in brown ink
Laid paper, watermark « Ivorite »
Some ink smudges and autograph corrections by Vallès
Distant and disillusioned with French politics, Vallès delivers in a long and superb letter – entirely unpublished – his editorial ambitions for his autobiographical trilogy
We transcribe here only a few fragments
« Mon cher ami,
L’avenir est aux flegmatiques, comme disait Napoléon. C’est vrai quand il s’agit des prétendants. C’est faux quand il s’agit des députés – et il faut à un moment que, sous la pluie, dans l’orage, on entende le tonnerre de Mirabeau. On ne l’entendra plus. Le parlementarisme a les poches trop pleines et la tête trop vide. Si l’on ose poinçonner du bout des bayonettes l’or qui fait hernie dans ces gros ventres, c’en est fait de la troiscent-soixantroisade¹. À travers la brume infinie de Londres j’entrevois Paris se saignant sous la mollesse de son ciel bleu, et je vois les caporaux se disputant à travers les rues les testons du parlement, les magots de la légalité. Qui osera le Coup d’état […]
Devant les reculades du grand suffrage, devant la tactique asinique de l’opportunisme, à la veille d’un 2 décembre [allusion au Coup d’État de Napoléon III du 2 décembre 1851] du plus déshonorant que le premier, ou en face d’une bourgeoisie aussi anti-socialiste que le 2 décembre, je songe à laisser dormir mes espoirs politiques, et à retourner en plein à mon métier. Je vous écris sous le coup de cette violation douloureuse.
Un éditeur – qui ne l’est plus – devait se trouver à Londres il y a quatre jours. Il m’a apporté l’odeur des librairies et a essayé de me griser avec. Il m’a soutenu que je réussirais maintenant comme romancier. Sacrebleu, je pense depuis longtemps à m’enfermer face à face avec ce que j’ai vu, pour le photographier à la lumière fauve de mon temps, et je ne demanderai qu’à tirer sur l’ennemi à travers un livre, qui s’évanouirait comme la broussaille d’Afrique derrière laquelle l’Arabe murmurerait « chien de français ! » et épaulait pour tuer les sentinelles. Je ferais feu abrité par le sentiment, sous le déguisement de la passion ou de l’ironie. Mais j’ai dû vous écrire cela vingt fois ! Parlons sur un ton moins inspiré et en mettant les points sur les i.
Durand n’a pas paru trouver que j’étais trop téméraire en pensant à la combinaison suivante : à faire un traité avec Charpentier [éditeur entre autres de Zola et Maupassant] par exemple ; par lequel il s’engagerait à me fournir des provisions pendant un temps nécessaire à bâtir mon œuvre, à finir mes Misérables.
J’ai le plan, l’étoffe d’un grand roman en trois parties à peu près distinctes, qui représenterait l’histoire des grotesques et des héros, des hardis de l’idée ou du crime depuis 48. 1ère partie 48 jusqu’à 51. 2ème (plus longue) 51 jusqu’à 70. Dernière 70 jusqu’au 28 mai 1871.
Il me faut avec ce que j’ai déjà de préparé, il me faut deux ans ou plus, pour mener cette campagne à bien. Pour vivre pendant ces deux ans, il est besoin de 300 francs par mois. Si un éditeur voulait être propriétaire de mon œuvre, il n’aurait qu’à me donner ce pain de rente […]
Voyez-vous quelqu’un qui serait homme à aventurer ces quelques sous contre copie. CONTRE COPIE. On me donnerait mes 300 francs sur tant de manuscrits.
Rien à perdre, tout à gagner.
Je vendrai cela comme on voudrait – ou ferme pour être publié d’emblée en volumes, ainsi que furent publiés les Misérables ou feuilletonisable […]
Le bouquin vaudrait dix fois l’avance faite, s’il avait du succès – que dis-je : vingt fois, quarante fois ! […]
Il serait bien fait.
Je compte que j’écrirais cinq volumes [Charpentier le convaincra d’en écrire trois au lieu de cinq] – lesquels sont déjà tous armés et en ligne dans mon cerveau et mes papiers.
J’ai donc recours à votre expérience et je fais appel à votre camaraderie pour avoir votre avis et aussi votre appui. Je vais écrire à Goncourt et à Zola […]. Vous avez vu [Maurice] Dreyfous pour La Rue à Londres, n’est-ce pas ? Voulez-vous le voir pour ce grand roman ? Je n’écrirai à Zola ou de Goncourt qu’après votre réponse. Écrivez-le promptement, mon cher Scholl, car je vais à la dérive, et n’attendez pas qu’il fasse encore plus mauvais pour le proscrit ! Vous voyez bien ce que je rêve. Vous sentez bien l’avantage qu’y trouverait un éditeur capable d’envoyer 3 ou 400 francs par mois contre copie. Tout est là. On m’a dit que Charpentier avait agi ainsi avec Zola. Est-ce vrai ?
Je ne vous parle donc ni de roman ni d’article à l’Évènement, poussés par vous et publiables un de ces jours. Cette idée m’absorbe […]
Vous m’avez traité en camarade. Je vous demande en camarade un conseil, et s’il le faut le secours d’une recommandation. [Hector] Malot qui a été pour moi d’une obligeance et d’un dévouement à toute épreuve vient de me répondre à ce sujet. Mais il ne connaît pas la place. Édité qu’il est par un autre – et d’ailleurs, il est absorbé par la maladie de sa femme. […]
Je vous tends cordialement la main. Mettez une perche, image d’une poignée de main au-dessus de la Manche au bout de la votre !
J.V. […] »
1- An allusion to the manifesto of the 363. The declaration was drawn up on 18 May 1877 by the Republican deputies to the President of the Republic, Patrice de Mac Mahon, who expressed their opposition to the policy he was pursuing and to the establishment of the monarchist Duc de Broglie as President of the Council, even though the majority of the Chamber was republican. The text, which had been written by a friend of Gambetta’s, Eugène Spuller, received three hundred and sixty-three signatures.
Threatened in 1871 for having belonged to the minority in the council of the Commune (opposed to the dictatorship of a Committee of Public Safety), Vallès fled to Lausanne. He was then sentenced to death in absentia on 14 July 1872 by the 6th court martial. Having found refuge in London since 1875, the journalist-communard began at that time the writing of the first volume of his Jacques Vingtras trilogy: L’Enfant.
Halfway between an autobiographical and social novel, Jacques Vingrat is “the story of a sacrificed generation, defeated in June 1848, humiliated on December 2, 1851 and then crushed in May 1871 [bloody week]”. Bypassing censorship and inventing a double for himself, Vallès created an original and polemical novel.
L’enfant appeared for the first time in serial form in the daily newspaper Le Siècle from 28 June to 5 August 1878 under the pseudonym La Chaussade. Vallès’ approaches to Georges Charpentier bore fruit since the publisher published this first part in volume form in 1879. The other two volumes of the trilogy followed: Le Bachelier (published under the title Mémoires d’un révolté) and L’Insurgé, also published by Charpentier in 1881 and 1886 respectively (posthumously).
The proscribed journalist will find precious help in Aurélien Scholl during his painful years of exile. Meeting in the offices of the newspaper La Nymphe around 1854, the two men belonged to the same generation, the Forty-Eighters. At that time, Scholl was already a well-known journalist, appreciated for his often ironic pen. They frequented the same cafés, publicists, artists and caricaturists of the time: Courbet, Daudet, Carjat etc. They cut their teeth together at Le Figaro and never left each other’s side, until the bloody defeat of the Paris Commune.
In the 1970 edition of the EFR/Livre club Diderot, a letter addressed to Hector Malot dated November 6, 1877 mentions our letter: “I wrote after your letter to Scholl who had offered my volume La Rue à Londres to Dreyfous, who offered to publish it at the first clearing…” Maurice Dreyfous, essayist, publisher, buyer of the Charpentier house, and friend of T. Gautier.
Provenance :
Private collection