PASTEUR, Louis (1822-1895)

Lettre autographe signée « L. Pasteur » au professeur Charles Bouchard
Paris, le 19 juillet 1888, 3 pages in-8°

« On a éprouvé son immunité par inoculation à la surface du cerveau »

EUR 5.500,-
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Fiche descriptive

PASTEUR, Louis (1822-1895)

Lettre autographe signée « L. Pasteur » au professeur Charles Bouchard
Paris, le 19 juillet 1888, 3 pages in-8 sur bifeuillet vergé
Trace de pliure centrale due à l’envoi d’origine

Importante lettre témoignant entre autres des fortes tensions au sein de la communauté scientifique franco-italienne – Pasteur s’indigne des moyens utilisés par ses détracteurs pour entraver les travaux de ses confrères sur la prophylaxie de la rage


« Mon cher confrère,
Mardi prochain, Mr [Adrien] Proust fera le rapport sur les candidats étrangers au titre de correspondant de l’Académie de médecine.1
Permettez-moi de vous informer de tous les vœux que je fais en faveur du professeur
[Arnaldo] Cantani de Naples2, non seulement pour sa valeur personnelle et ses titres scientifiques, mais parce qu’il a été et est encore en butte à toutes sortes d’oppositions et d’avanies de [Mariano] Semmola et autres qui sont irrités de l’initiative qu’il a prise dès le début de l’application de ma méthode de prophylaxie de la rage après morsure.3 Cantani avait institué à ses frais le laboratoire antirabique que dirigeait un de ses élèves le docteur [Alfonso] di Vestea. Cela ne pouvait durer, dans ces conditions. Il y a donc eu cessation de service de la rage jusqu’à ce que l’état et la municipalité se fussent décidé à des subsides à Cantani. Plusieurs cas de rage humaines s’étant produits pendant l’interruption du service, une allocation de 9.000 fr a été enfin accordée et les Dr Vestea et [Giuseppe] Zagari s’occupent présentement de refaire la série des lapins trépanés et des moules.4
En ce moment on répand le bruit que Cantani et anti français, très favorable à l’école allemande etc etc. Vous pourrez en être informé par M. [Jean-Martin] Charcot qui, à Milan, a eu de piquants entretiens avec Semmola lequel a desservi Cantani comme il a pu. J’en sais long sur ce Semmola et je suis persuadé que M. Charcot n’a pas tardé à le juger. J’ai de Semmola plusieurs lettres, auxquelles je n’ai pas répondu, et par lesquelles il voulait m’obliger à une discussion publique avec lui pendant que j’étais à Bordighera. Ces lettres n’ont fait que me confirmer dans l’opinion que m’ont suggéré à son sujet plusieurs médecins et savants de l’Italie.
Bref, je vous le répète, je forme les vœux les plus légitimes en faveur de M. Cantani. L’Académie de médecine lui doit en quelques sortes une réparation. À la sollicitation de ses ennemis de Naples,
[Michel] Peter5 a déposé, le 23 fév[rier] 1887 sur le bureau de l’académie de Paris, un document reconnu apocryphe, signé faussement du président de l’académie de médecine de Naples et dirigé contre Cantani, qui à la nouvelle de cette infamie, donna immédiatement sa démission de membre de cette académie. 8 jours après excuses et hommages à Cantani par le président [Salvatore] Tommasi et refus d’acceptation de cette démission etc. etc.
Votre affectionné confrère
Pasteur
Je passe quelques jours chaque semaine à Villeneuve-l‘Etang où je trouve votre chien. Dans cette inaction du chenil de Villeneuve il a pris un embonpoint inquiétant. Je vous engage beaucoup à le reprendre. Vous savez qu’après sa vaccination on a éprouvé son immunité par inoculation à la surface du cerveau et qu’il y a résisté parfaitement.6
M. Charcot veut bien m’écrire qu’il ne fera aucune opposition à Cantani puisque « pendant son séjour prolongé à Milan, il eût recueilli sur Cantani des renseignements peu favorables », que vous disais-je plus haut ? »


[1] Adrien Proust (1834-1903), père de Marcel et Robert Proust, est un médecin français. Il est élu membre titulaire de l’Académie Nationale de Médecine en 1879, où il occupe le poste de secrétaire annuel de 1883 à 1888. Il inaugure le monument de Pasteur à Chartres peu avant sa mort, en 1903.

[2] Arnaldo Cantani (1837-1893) est médecin et homme politique italien. Ses recherches ont permis des avancées significatives sur la pathogénie des maladies infectieuses. Comme en témoigne cette lettre, Cantani, fervent soutien des travaux de Pasteur, crée un laboratoire de microbiologie à Naples, reconnu comme le premier institut italien de thérapie contre la rage.

[3] Mariano Semmola (1831-1896) est médecin, philosophe et homme politique italien. Les dissensions scientifiques entre Cantani et Semmola sont déjà très fortes au moment de l’épidémie de choléra qui sévit dans la région de Naples dès 1884.

[4] En Italie, Cantani et ses élèves ses précurseurs dans le traitement de certaines maladies infectieuses avec des germes moins pathogènes que ceux responsables de la rage. En 1887, Pasteur communique que le développement de micro-organismes pathogènes peut être inhibé par la présence dans la culture d’autres germes non pathogènes.

[5] Michel Peter (1824-1893) est un médecin français. Il est élu à l’Académie Nationale de Médecine en 1878. Connu pour en être l’un des principaux détracteurs, il attaque les théories et expériences de Pasteur, notamment le vaccin antirabique, en France comme à l’étranger. La longue controverse entre les deux hommes fait émerger la conclusion selon laquelle il ne suffit pas toujours qu’un germe infectieux pénètre dans un organisme pour qu’une maladie infectieuse se déclare (théorie des porteurs sains).

[6] Pasteur fait ici référence à sa méthode (inspirée des expériences de Roux) consistant à inoculer par trépanation de la moelle rabique de plus en plus virulente afin de rendre le chien réfractaire au virus de la rage.


Sa découverte du vaccin antirabique en 1885 valu à Pasteur une consécration mondiale. Subséquemment l’Académie des sciences lui proposa la création d’un établissement destiné à traiter la rage : l’Institut Pasteur ouvrait ses portes en 1888.
Charles Bouchard (1837-1915), destinataire de cette lettre, est un médecin français, anatomo-pathologiste, biologiste prolifique et clinicien de grande renommée. Il est entre autres connu pour le concept d’auto-intoxication et l’antisepsie médicale.
Jean-Martin Charcot (1825-1893), dont il est en partie question dans la lettre, est un neurologue français, professeur d’anatomie pathologique, à l’origine de la découverte de la sclérose latérale amyotrophique (maladie neurodégénérative à laquelle il a donné son nom). Il intègre l’Académie de médecine en 1873.
Bouchard et Charcot se consacrent à la neuropathologie et plus spécifiquement aux lésions des scléroses de la moelle épinière. Ils découvrent ensemble l’origine des hématomes intracérébraux, la rupture de petits anévrysmes milliaires sur la paroi des artérioles cérébrales qui seront plus tard dénommées « micro-anévrysmes de Charcot et Bouchard ».

Cette lettre semble inédite